Chroniques

par bertrand bolognesi

L’Empio punito | L’impie condamné
opéra d’Alessandro Melani (version concert)

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc Roussillon / Comédie
- 23 juillet 2004

Mieux vaut tard que jamais… On s’en souvient, l’Opéra national de Montpellier annonçait (il y a deux ans) une production de L’Empio punito, opéra qu’Alessandro Melani écrivit en 1669 pour honorer une commande des princes Colonna. Initialement prévue pour juillet 2003, le programme de l’édition passée du festival – qui d’ailleurs n’eut finalement pas lieu, grâce au mépris dans lequel nos gouvernants ont tenu les intermittents du spectacle – laissait voir un pur et simple passage à la trappe, encore demeuré inexpliqué. La réalisation s’était cependant bel et bien faite, à l’Opernhaus de Leipzig, en juin 2003, dans une mise en scène d’Éric Vigner. Un an plus tard, L’Empio punito est bien au Festival de Radio France et de Montpellier, mais en version de concert. Mieux que rien, certes, mais c’est tout de même frustrant, d’autant que s’avère diablement théâtral cet ouvrage qui semble le tout premier qui aborde (sous des traits largement reconnaissables bien que les noms des personnages soient complètement indépendants du mythe) l’histoire du séducteur, jouisseur et « impie » Don Juan, délicieux abuseur de Séville précipité aux Enfers par la statue d’un quidam qu’il avait lui-même occis.

Christophe Rousset et ses Talens Lyriques, éternels et précieux « redécouvreurs », donnent une lecture pleine de relief et de surprise de ce plaisant opéra, une approche scrupuleusement expressive qui prend grand soin du moindre détail stylistique. La distribution vocale est plutôt inégale. Ainsi ne comprend-on guère pourquoi le rôle de l’abuseur, initialement écrit pour un castrat élevé, est confié à un soprano plutôt qu’à un sopraniste. Par un chant maniéré plutôt que nuancé dans lequel il est malaisé de reconnaître les qualités et le talent affirmés par cette artiste à ses débuts, Gaëlle Le Roi interprète un Acrimante peu convaincant, tout en démonstration minaudière. En août dernier, à Drottningholm, déjà elle décevait dans le rôle d’Oberto d’Alcina (Händel), paraissant alors vouloir adopter les pires tics et trucs d’Anne Sofie von Otter ; aujourd’hui, la tendance s’est malheureusement radicalisée. C’est dommage : la voix est riche, avec des aigus pleins et remarquables, mais le médium menace d’une vertigineuse béance qui bientôt pourrait nuire à l’arrivée des notes extrêmes – à l’heure actuelle, elles sortent sans soucis, mais demain...

En revanche, on retrouve là quelques voix toujours fiables, comme celle de Salomé Haller qui servant efficacement le personnage d’Ipomene, formaint un duo équilibré avec le Cloridoro superbement coloré et projeté de Kristina Hansson. Atamira est l’excellente Anne-Lise Sollied, un peu gênée ce soir par des aigus qui « collent » (sans doute le contrecoup de l’accablante chaleur languedocienne et des ambiances climatisées qu’elle exige), ce qui ne l’empêche pas de livrer un éventail de nuances fort appréciable. De plus en plus présent sur la scène baroque, le ténor d’origine chilienne Emiliano Gonzalez Toro campe Delfa, l’amoureuse du valet Bibi, selon une tradition buffa peut-être héritée de Naples. Tout en se montrant volontiers drôle et inventif, il ménage quelques moments de musique d’une exceptionnelle douceur, rendant le personnage attachant au-delà du comique. Enfin, le roi Atrace est avantageusement tenu par la jeune basse portugaise João Fernandez dont se laisse admirer la parfaite égalité d’émission sur toute l’étendue de la tessiture ; ainsi se pare-t-il de graves évidents et sonores, d’un passage dans le médium d’une rare souplesse et d’un aigu facile, sans rien changer à la couleur générale et sans jamais forcer. Avec une diction exemplaire, tant dans les airs que dans les récitatifs, et un art de la nuance si évident qu’il la rend naturelle, on touche à l’idéal.

BB