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Chroniques
l’ensemble Cairn fête ses vingt ans
première de deux soirées interdisciplinaires
Fort d’une dizaine de musiciens et d’un chef d’orchestre – Guillaume Bourgogne, de plus en plus présent en région parisienne [lire nos chroniques des 11 juin et 14 décembre 2017] –, l’Ensemble Cairn défend la musique de son temps, depuis vingt ans maintenant. Et depuis tout ce temps, régulièrement, la formation se confronte à d’autres formes d’art, voire à d’autres musiques. Pour deux soirs, elle quitte sa résidence orléanaise où cinq de ces projets interdisciplinaires furent présentés en novembre, et s’installe à Vanves avec certains d’entre eux.
La première des trois parties du programme met en présence la pianiste Caroline Cren, qui a recueilli l’enseignement d’illustres aînés (Claire Désert, Georges Pludermacher, etc.), et Jozef Dumoulin, élevé dans l’univers du jazz depuis l’adolescence. Si le claviériste belge a lui aussi une bonne connaissance du roi des instruments, il lui a préféré un prince, voilà près de deux décennies : le piano électrique Fender Rhodes, auquel il mêle l’électronique. Trois improvisations sont données qui, dans le silence du théâtre, laissent trop entendre des bruits de boutons qu’on tourne et de pédales qu’on enfonce... On leur aura préféré les pièces écrites (Walk 3, Chorale 2015 et La Maison 3), souvent caressantes et nimbées d’un halo agréable. Entre elles résonnent deux pages empruntées à Morton Feldman (Last pieces 4, Intermission 6), et une à Jérôme Combier (Étude 4), compositeur et directeur artistique de Cairn, toutes pour piano seul.
Force vive de Cairn, l’altiste Cécile Brossard est nourrie d’expériences avec les quatuors Benaïm et Cambini. Pour Les métamorphoses du cercle, un spectacle en cours d’écriture, elle est seule face au circassien Sylvain Julien. Curieux de divers univers (danse, marionnette, etc.) et d’objets à manipuler (branche, pneu, corde, etc.), le jongleur est d’abord proche d’elle, la retenant par différents points du corps, tandis qu’elle se penche en jouant Johann Sebastian Bach (Sonate BWV 1005 n°3). Mais son intérêt se porte vite sur des cerceaux qu’il fait vivre à sa guise. Si certaines figures sont bien connues, d’autres impressionnent par leur virtuosité. Comment ne pas s’étonner d’un cercle qui semble autonome, maintenu fixe par rotation, entre scène et cintres ? Autre surprise, les cerceaux ouverts deviennent tige ou serpent pour un tableau qui fait entendre une pièce de Karl Naegelen (Adagio filtré choral), Burgien né en 1979.
La fin de l’entracte fait intervenir trois nouveaux musiciens, Frédéric Aurier (violon), Ayumi Mori (clarinette) et Fanny Vicens (accordéon, mandoline) [lire notre critique du CD], pour un concert-lecture autour du livre de Joy Sorman, La peau de l’ours (2014). Ce roman en forme de conte a pour narrateur le fruit d’un accouplement monstrueux, « petit garçon dodu et voûté, musclé et épais, couvert de poils aux reflets roux » qui passe d’un propriétaire à un autre, d’un emploi à une autre, avant une rencontre décisive dans la fosse d’un zoo. Émouvant, le comédien Lionel Tua incarne l’enfant qui grandit et affronte divers tourments, hésitant sur les mots à utiliser pour décrire ce qu’il subit et ressent. Parfois arrangée par Combier, une musique d’Europe centrale retentit, traditionnelle ou signée (Bartók, Janáček, Liszt), berçante ou animée. Deux soli de Salvatore Sciarrino s’y glissent également (Vagabonde Blu, Let me die before I wake), sublimant la mélancolie du récit.
LB