Chroniques

par jorge pacheco

l’héritage d’un maître : une conférence et deux concerts
Antoine Alerini, Raquel Camarinha, Rémi Durupt et Marie Vermeulin

œuvres de Debussy, Ducol, Levinas, Louvier, Méfano, Messiaen et Xenakis
Festival Messiaen au Pays de La Meije / Église de La Grave
- 19 juillet 2012
le jeune pianiste Antoine Alerini joue Michaël Levinas au Festival Messiaen
© dr

Au cœur du village de La Grave, dans la Salle de fêtes où s’entend toujours le doux murmure de la Romanche, se réunissent ce matin musiciens, compositeurs, mélomanes et curieux, tous venus honorer la mémoire d'Olivier Messiaen pour une nouvelle journée du festival qui porte son nom [lire notre chronique de la veille].

Modérée par Claude Samuel, un spécialiste en la matière, la conférence inaugurale de la journée donne la parole à Gilbert Amy, Paul Méfano, Allain Gaussin, Michèle Reverdy, Alain Louvier et Bruno Ducol, compositeurs ayant tous connu l'enseignement de Messiaen. Divisée en créneaux qui abordent différents aspects de l'approche pédagogique du maitre, les interventions savantes et techniques que proposent Amy, Ducol et Louvier, vite passées, cèdent à la volonté généralisée d'entendre ou raconter des petites anecdotes sur sa personnalité qui, certes, constituent un émouvant témoignage humain, mais n'atteignent pas les hauteurs que laissait espérer une assemblée aussi exceptionnelle. Cela dit, il est fort probablement nécessaire d'attendre encore longtemps pour mesurer l'importance d'une personnalité musicale de cette taille. Souligner cependant l'importance de ce genre de rapprochements, mais aussi la cruelle absence des jeunes interprètes lors de ces séances d'étude « théorique » (ce qui prouve, une fois de plus, que la musique est, malheureusement, un des rares domaines où la théorie est moins valorisée que la pratique), alors que les compositeurs, eux, sont présents dans tous les concerts, même s’ils ne sont pas programmés.

Les mêmes visages, déjà familiers, peut-être un peu plus bronzés après des journées de musique et de randonnée, se retrouvent à l’Église de La Grave pour la prochaine station musicale de ce périple. Les étudiants en Répertoire Contemporain du CNSM de Paris donnent un nouveau concert avec des œuvres de musique de chambre des compositeurs invités qui, comme la tradition le veut, introduisent chacun à leur tour leur pièce. Nous en retiendrons les belles Trois Études pour piano de Michaël Levinas, remarquablement interprétées par Antoine Alerini [photo], ainsi que Rebonds pour percussion seule d’Iannis Xenakis, œuvre vaillamment jouée par Rémi Durupt. Les Instantanées de Paul Méfano, pages courtes pour différents instruments données tour à tour par chacun des musiciens, tous présents sur scène, mériteraient peut-être plus qu'une exécution en dernière place : une deuxième partie à leur être entièrement consacrée les honorerait certainement mieux, chacune livrant un univers sonore à part entière. Parfois harmoniquement proches du langage de Messiaen, ces pièces partagent toutes une étrange et puissante expressivité. Nous garderons notamment en mémoire celle qui fait intervenir la voix, le piano et le violon, proche des Folks Songs (Berio), chantée avec une incroyable douceur par Raquel Camarinha.

Le point culminant de la journée est le récital du soir : la jeune et talentueuse pianiste Marie Vermeulin exécute brillamment un programme des plus exigeants. Une infinité de couleurs et de sonorités contrastantes inondent son jeu souple et honnêtement pédalisé dans Pour le piano de Claude Debussy. Un toucher délicat et une écoute patiente caractérisent son interprétation de La dormeuse et les oiseaux de nuit d'Alain Louvier et des deux Études de rythme de Bruno Ducol. La deuxième partie est entièrement dédiée à La fauvette des jardins, œuvre capitale dans la production pianistique de Messiaen. En voyant la jeune femme discrète et souriante, nul ne devinerait la force qui l'habite face au clavier, alors même que son tempérament artistique nous frappe dès la première note. Douce quand il le faut, emportée quand l'exige la partition, son prodigieux sens du phrasé et son soin du détail ne diminuent en rien la puissance du jeu. Une interprétation courageuse, fort appréciée des auditeurs, qui se termine par Ondine de Ravel en bis.

Avant d'aller se reposer, une tisane de camaraderie, tradition solennellement tenue par les paroissiens après chaque journée, est l'opportunité unique d’échanger avec compositeurs et instumentistes dans une proximité impossible en ville.

JP