Chroniques

par bruno serrou

L’heure espagnole
opéra de Maurice Ravel

Maison de la Musique, Nanterre
- 25 mars 2011
production légère et festive de Marc Paquien
© mirco magliocca | opéra national de paris

Comédie musicale plutôt qu’opéra, de par la volonté même de son auteur, voire conversation en musique créée à l’Opéra Comique le 19 mai 1911, L’heure espagnole est le premier des deux ouvrages lyriques de Maurice Ravel. Composé en 1907 sur un livret de Franc-Nohain tiré de sa pièce éponyme (créée au Théâtre de l’Odéon en 1904), cette partition en un acte (de cinquante-cinq minutes) est conçue pour cinq personnages qui doivent « dire plutôt que chanter », Ravel voulant donner une place prépondérante au texte et inciter ainsi les chanteurs à révéler leur talent de comédien. Un seul rôle vraiment chantant, celui de Gonzalve, avec des coloratures tirant vers le bel canto, tandis que le grand air dramatique de Conception, Oh, la pitoyable aventure, prend un tour ironique, voire caricatural. Écrite sur un orchestre singulièrement expressif aux timbres insolites et d’une richesse inouïe, cette histoire – plutôt osée pour l’époque, tant elle est grivoise et truculente – d’horlogère qui trompe assidument son horloger de mari dans sa propre boutique avec tous les hommes un tant soit peu vigoureux est un excellent support pour la formation de jeunes chanteurs et instrumentistes. Il était donc judicieux que l’Atelier d’art lyrique de l’Opéra national de Paris et l’Orchestre-Atelier OstinatO s’associent autour de ce même projet, sous la houlette du metteur en scène Marc Paquien, qui avait déjà travaillé avec l’Atelier lyrique à l’occasion de la création de Les Aveugles de Xavier Dayer à Saint-Denis [lire notre chronique du 20 juin 2006].

Ce sont les jeunes musiciens de l’Orchestre-Atelier OstinatO qui, sous la direction de Jean-Luc Tingaud, ont ouvert cette soirée Ravel avec Alborada del gracioso, mettant à la fois en exergue les qualités intrinsèques d’instrumentistes déjà aguerris mais se forgeant encore à l’orchestre de fosse et l’acoustique sèche de la Maison de la musique de Nanterre qui ne pardonne aucune erreur. S’ensuivirent trois cycles de mélodies, les deux premiers confiés au soprano grecque Zoe Nicolaidou à qui sont naturellement revenues les Cinq mélodies populaires grecques, mais aussi les Deux mélodies hébraïques. Si le timbre convainc, la diction, pour le moins aléatoire, reste à travailler sérieusement. Mêmes caractéristiques pour le baryton polonais Michal Partyka dans les Trois chansons de Don Quichotte, qui révèlent, en outre, une voix manquant de chair et d’harmoniques dans le registre grave.

En revanche, dans L’heure espagnole, le texte de Franc-Nohain est demeuré intelligible de bout en bout, et l’orchestre de Ravel limpide et bondissant à souhait. Le soprano Carol Garcia a campé une Conception pleine de verve, menant à la baguette une troupe de chanteurs particulièrement à l’aise dans leurs rôles respectifs, le ténor Vincent Delhoume (l’horloger Torquemada), le baryton Alexandre Duhamel (le muletier Ramiro), le baryton Damien Pass (Don Inigo Gomez), qui ont rivalisé en comique, opiniâtreté et plaisir de jouer, tandis que la palme est revenue à l’excellant ténor Manuel Nuñez Camelino dans le rôle du bachelier-poète Gonzalve. Légère et festive, la production de Marc Paquien était efficacement servie par la scénographie sans artifice de Gérard Didier.

BS