Chroniques

par françois cavaillès

L’hirondelle inattendue, opéra féérique de Szymon Laks
L’enfant et les sortilèges, fantaisie lyrique de Maurice Ravel

Opéra national de Montpellier / Comédie
- 18 décembre 2015
l'Opéra de Montpellier fait découvrir L’hirondelle inattendue de Szymon Laks
© marc ginot

Opéra-bouffe en un acte créé en version de concert le 26 décembre 1975 à Varsovie, L'hirondelle inattendue passerait presque, avec tout son royaume animal et sa fantaisie futuriste, pour un conte de Noël. Dans une double affiche bien du temps des fêtes mais encore espiègle et délirante – car accompagnée non pas de Casse-noisette le bien-nommé (!) mais du songe ravélien L'enfant et les sortilèges –, l'Opéra national de Montpellier donne enfin vie, sur scène, à cette œuvre facétieuse du compositeur juif polonais Szymon Laks (1901-1983), réfugié en France. À découvrir absolument ?... Oui, cent fois oui – à condition d'apprécier deux livrets qui aiment à se jouer des règles de l'opéra.

Le rideau se lève sur un montage d'archives vidéo de la conquête de l'espace.
Grésillant un peu, la voix enregistrée d'une chanteuse nous parvient. Il s'agit d'un extrait de la ritournelle L'hirondelle du faubourg, grand succès d'antan. Cette brève présentation survient sans doute par souci de mise en contexte et de cohérence, parce que le livret éclaté, signé Henri Lemarchand, est tiré d'une pièce radiophonique intitulée Le bestiaire inattendu : l'hirondelle du faubourg. Or, sous ce prétexte de rendre hommage à un air mauvais valseur, voire, par-delà, aux vieux chansonniers (et même à la « culture populaire », en conclut une analyse musicologique dans la brochure de salle), la représentation a, en définitive, vraiment l'art (et le sien, bien original) de réjouir le public ! Son rythme endiablé, ses bons gros jeux de mots, tout en suivant une belle orchestration et une mise en scène crânement fantastique... Ce qui laisse éberlué, sous une heureuse impression d'incohérence et de liberté.

L'intrigue paraît bien étrange dès l'arrivée des protagonistes, le Journaliste et le Pilote. Les deux astronautes ont échoué sur la planète des animaux célèbres : Serpent d'Eden, Louve romaine, Truite de Schubert, etc., tous uniformisés par leurs tenues de roi identiques et leur visage couvert. En résumé des événements, la mission des humains est de dévoiler et de défendre l'identité de cette chanson incarnée par une femme-hirondelle ; elle s’accomplira au fil de quelques mésententes absurdes avec les extra-terrestres.

Autour du monolithe de Kubrick (2001: a space Odyssey, 1968), les décors astucieux, les costumes grotesques et fabuleux, ainsi que la musique hérissée, bringuebalant et généreuse, exercent d'abord le charme d'un vieux feuilleton d'aventures rocambolesques, souvent mené tambour battant, mais où le chant n'est guère à l'honneur dans des répliques hachées, au léger arôme de café-théâtre.

Ainsi, par exemple, le baryton-basse Julien Véronèse fait-il un Ours de Berne bien appliqué, très furtif. Le soprano Khatouna Gadelia se distingue davantage dans le rôle le plus étoffé, la Colombe de l'Arche de Noé, soit une sorte de maître de cérémonie à la voix élancée. En outre, en tant que Journaliste, le ténor Kévin Amiel laisse paraître une belle voix dorée dans sa courte déclamation finale. En fait, les personnages jouent un peu comme les marionnettes plutôt déchainées d'une comptine tournant à la petite satire du milieu culturel (ainsi quand l'oiseau Procné, campée avec intensité par le soprano Jodie Devos, prend à partie le journaliste au regard intrus).

L'histoire bascule dans le loufoque à la disparition de l'Hirondelle, recherchée également par la Voix du ciel portée par un merveilleux satellite de type Spoutnik : beau symbole, peut-être, de la créativité du trio de choc Sandra Pocceschi (mise en scène), Giacomo Strada (décors) et Cristina Niffeler (costumes) que cet ovni, fol appareil réconfortant et ultime larron de la sarabande royale tour à tour paniquée, puis incrédule et enfin toute égocentrique (demandant en chœur : « Mais notre gloire à nous ? »).

Le chœur et l'orchestre maison séduisent, au service d'un petit trésor de partition, aussi ludique que précieux. Le premier grouille souvent et écrase quelquefois – avec bonheur –les oreilles amusées et complices, tandis que le second paraît vif, parfois fort en percussions ou en cuivres, et très bien équilibré selon, d'une part, l'harmonie et l'imagination du compositeur, mais aussi la direction soignée et pleine d'esprit de David Niemann. La musique de film est un peu évoquée, puisque Szymon Laks fut un créateur épris de cinéma ; mais c'est un imaginaire propre et lyrique qui est porté par l'orchestre, jouant des changements fantaisistes de situations pour rendre plausible et agréable un récit bref, sans queue ni tête.

Découverte en février dernier, la mise en scène de L'enfant et les sortilèges produit un effet moins drôle et plus déroutant grâce à tant d'inventions. Avec un remarquable jeu d'éclairage signé Geoffroy Duval, l'équipe de Sandra Pocceschi produit un travail imposant qui, souhaitons-le, appelle à d'autres grandes réussites artistiques originales. Le soprano Jodie Devos brille tout particulièrement dans le rôle du Feu, captivant, à la belle vocalise. Surtout, le brio de Ravel, aux miaulements un peu assagis, sourit tel un chat de Chester…

FC