Recherche
Chroniques
l’humanité du Deutsches Requiem
Grand concert de l’Orchestre National de France, ce jeudi, avenue Montaigne, retransmis en direct sur France Musique. Ouvert sur la Symphonie en mi mineur n°44 « Funèbre » (1772) de Joseph Haydn au climat Sturm und Drang, bien structurée mais aux textures un peu épaisses, avec les violoncelles et les contrebasses dans le fond et un clavecin grêleux, la soirée est essentiellement consacrée au sublime deutsches Requiem Op.45 (Un Requiem allemand, 1865-1868) de Johannes Brahms. Cette œuvre d’une grandeur simple, toute en retenue et en espérance intime, est le contraire des requiem de tradition catholique qui, en cette époque romantique, faisaient les beaux soirs des salles de musique. Le terme allemand signifie que ce requiem repose non pas sur le rituel funèbre latin mais sur des textes vernaculaires qui mettent l’accent sur les vivants plutôt que sur les défunts, commençant sur les mots tirés de l’Evangile selon saint Matthieu « Heureux ceux qui souffrent, car ils seront soulagés » (V, 4).
Les textes réunis par Brahms associent Evangiles, Epitre et autres extraits de la Bible (Psaumes, Hébreux, Isaïe, Ecclésiastique, Sagesse), l’Apocalypse de Saint Jean, apocryphes inclus, les sept mouvements que compte l’œuvre étant disposés en forme d’arche, ouverte et fermée par deux invocations commençant par « Selig sind » (Heureux sont…). Pour mieux rattacher sa partition à la tradition luthérienne, Brahms cite dans son deuxième mouvement un choral du XVIIe siècle et, ailleurs, des échos de pages de Praetorius et de Heinrich Schütz, particulièrement dans le morceau initial et dans le finale, ainsi que des références à Johann Sebastian Bach.
Avec un chef de la dimension de Hartmut Haenchen, aussi à l’aise dans une fosse d’opéra que sur l’estrade, cette œuvre généreuse et singulièrement paisible et optimiste, à en considérer le sujet, atteint une grandeur d’une profonde humanité. Le geste large et précis, les mains nues semblant pétrir le son de chaque instrument et des voix chorales dans leur singularité, rappelant ainsi les mouvements plus secs mais tout aussi expressifs de Pierre Boulez, le chef allemand transcende les longues et merveilleuses phrases mélodiques brahmsiennes qui sollicitent l’ONF et le Chœur de Radio France jusque dans leurs qualités les plus enfouies, comme s’il les métamorphosait soudain. Le baryton-basse Thomas Johannes Mayer, Wotan de La Walkyrie à Bastille la saison dernière [lire notre chronique du 31 mai 2010], aux élans d’un Evangéliste des Passions de Bach, brille dans ses deux interventions, tandis que le soprano Christiane Oelze se montre moins concentré et précis, révélant des limites dans l’aigu et dans la justesse.
BS