Chroniques

par bruno serrou

l’invention n’est pas où on l’attend
session de composition

Abbaye de Royaumont
- 11 septembre 2010

C’est dans des conditions idéales que les jeunes stagiaires de la Session de composition de Voix nouvelles, incluse dans le cadre de la Saison musicale de l’Abbaye de Royaumont, ont vu la création de la pièce que chacun a composée avec leurs trois professeurs, le Britannique Brian Ferneyhough, ici permanent depuis 1990, et, cette année, l’Australienne Liza Lim et l’Italien Francesco Filidei. En effet, les compositeurs joués ont pu longuement travailler avec deux remarquables ensembles, Les Cris de Paris, excellemment préparé par Geoffroy Jourdain, codirecteur du Chœur de l’Orchestre de Paris et du Jeune Chœur de Paris pendant plusieurs années, et l’ensemble Linea de Strasbourg dirigé par son fondateur Jean-Philippe Wurz [lire notre dossier], élève de Péter Eötvös. Leur prestation a été à la hauteur de leur travail en amont, d’un total aboutissement.

Ainsi a-t-il été loisible de juger sans contrainte extérieure des partitions proposées, en ce beau samedi de fin d’été où les canards nageaient gaiment dans les eaux des canaux de l’abbaye royale, et vaquaient à leurs occupations sur les pelouses au milieu des nombreux jeunes mariés venus se faire photographier dans le parc. Quinze œuvres travaillées par autant de compositeurs stagiaires. Seules deux seront sorties du lot : Rollende Wolken gezogener Flügel pour douze voix de l'Allemande Hanna Eimermacher (née en 1981) et Plastic Trio pour trio à cordes de l'Espagnol Marc Garcia Vitoria (né 1985), brillamment joué par Maiko Matsuoka, Jessica Rona et Johannes Burghoff (Linea).

Il convient d’ajouter les promesses de Kyrie pour douze voix et sept instruments de l’Italien Maurilio Caccatore (né en 1981) et That One Thing, breathless, breathed pour chœur de femmes à six voix de Mena Mark Hanna (1984). Le pire, en revanche, Schatteneichen pour basson et alto de l'Australien Robert Dahm (1981) est le premier duo pour quintette, puisque pour l'exécuter, aux deux interprètes, Antoine Pecqueur et Jessica Rona, il a fallu joindre deux tourneurs de pages et un chef, en l'occurrence le compositeur ; une pièce inutilement complexe considérant le résultat formel et sonore qui atteste d'un sérieux manque de maîtrise instrumentale. De même Partita du Péruvien Juan Arroyo (1981), nous a asséné un match de football à onze musiciens et un arbitre (chef avec sifflet), avec coup d'envoi, arrêts de jeu, coups francs, tacles, pénalty, buts, courses poursuites. Un vrai pensum qui semble ne pas même avoir connaissance de Rugby, le poème symphonique d’Honegger.

Pour le reste, rien de bien marquant, chacun des autres stagiaires y allant de son écriture saturée sans doute pour plaire au maître Ferneyhough, de leurs frottements/froissements de papier aluminium - le long Haïku de Ryokan pour chœur à dix-huit voix du Français Laurent Durupt (né en 1978) -, frottements de main inaudibles - M/P fragments pour 24 voix de l’Italienne Silvia Borzelli (née en 1978), Inondation pour douze voix et quatuor instrumental de la Canadienne Marielle Groven (née en 1984) -, claquements de dents - Funerales de Dersu pour chœur de basse à 6 voix de l’Espagnol Adrian Borreda (né en 1983), avec gisant au pied des instrumentistes - ; etc. Ce systématisme du bruitisme et de la saturation n’en finit pas de finir…

La modernité, l’imagination n’étaient pas, ce samedi, là où elles étaient attendues. Ce que les jeunes compositeurs n’ont pas eu la témérité de livrer en allant au-delà de ce que leur ont apporté leurs maîtres de stage, ce fut le concert du soir qui l’aura offert avec une œuvre conçue voilà cinq cents ans. Superbe prestation, en effet, de l'ensemble Musica Nova dans une œuvre somptueuse du répertoire Renaissance. Dirigée par le contre-ténor Lucien Kandel, cette formation de neuf merveilleux chanteurs a donné une interprétation admirable d'élan, de spiritualité, de cohésion de la Missa Prolationum en double canon à quatre voix de Johannes Ockeghem (v.1420-1497) qu’elle a fait précéder d'un Alma redemptoris mater et suivre d'un Salve Regina de grande beauté du même compositeur. Un concert à marquer d'une pierre blanche.

BS