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Chroniques
L’occasione fa il ladro ossia Il cambio della valigia
L’occasion fait le voleur ou L’échange de la valise
Cette petite enseigne montmartroise Pizzeria Rossini (rue Danrémont) et, à l’intérieur, la collection presque complète des affiches du célèbre festival de Pesaro, signifient toujours la passion réciproque entre la cuisine italienne et le compositeur, parmi quelques hommages posthumes qui perdurent à Paris. Or, c’est justement devant une baraque à pizza que débute une nouvelle burletta du jeune Rossini jouée par l’Atelier Lyrique de Tourcoing comme une farce encore au goût du jour !« Rossini a écrit avant 1812, mais ce n’est qu’en cette année-là qu’il obtint la faveur de composer pour le grand théâtre de Milan », nous fait remarquer Stendhal (in Vie de Rossini, 1824). Oui, Gioachino Rossini naît peut-être véritablement à l’opéra en 1812. Avec le succès de La pietra del paragone, à la Scala, mais aussi dans la surprenante gaieté de L’occasione fa il ladro, qui fit courte sensation au San Moisè de Venise, pour cinq soirées seulement, le théâtre situé à l’entrée du Grand Canal fermant ses portes quelques années plus tard.
Humble et désertée, Les fougasses de Papy (Focaccia di Papi) présente ses quelques lampions et son parasol, entre deux chétives tables pour deux personnes. En effet, à partir d’un vaudeville tout aussi truculent d’Eugène Scribe, L’occasione fa il ladro fonctionne autour de deux couples en devenir : tout d’abord intervertis par une méprise incivile, puis projetés d’auberge en manoir, et surtout de quiproquos en rattrapages de bourdes, pour finalement, bien assortis au bout du seul et unique acte, chanter à l’unisson dans la liesse générale cette petite morale : « si le hasard fait d’un homme un filou, une raison peut parfois l’excuser ».
Derrière le comptoir abandonné jaillit donc un pizzaiolo bougon, blanc et nigaud comme le cormoran, muet et énervé tel le cuisinier suédois du Muppet Show, sur le tout premier accord, crispant, de La Grande Écurie et la Chambre du Roy, ensemble dirigé avec assurance et précision par Emmanuel Olivier. Quelques éclairs parsèment le fond céleste simple et uni, sous la lumière tantôt symboliste, tantôt comique de Didier Brun. Sur ce théâtre povero, faussement paresseux mais d’une vraie élégance populaire, grotesque et bonne pâte grâce à la styliste Anne Bothuon, tombe l’orage rossinien typique, clair et vrombissant, qui met en fuite deux larrons. Vite, aux abris !
Don Parmenione est le premier à emboîter le pas à l’orchestre, complice dès la fin du prélude, dans tout un petit monde lyrique typé buffo, créé par le compositeur italien alors au plus bel âge – vingt ans. Le baryton plein, aisé et plaisant du pétillant Christian Senn est à saisir, en plus de qualités d’acteur très généreuses. De son personnage d’imposteur opportuniste, grand séducteur au débotté, mais tendrement veule, tissé au fil d’un imbroglio gratiné durant une heure et demie, on reprend volontiers, par gourmandise ! À ses côtés, le domestique-compère Martino bénéficie du puissant baryton-basse de Sergio Gallardo et file droit au but dès sa première réplique, s’exclamant par trois fois : « Deh lasciatemi mangiar ! » (Laissez-moi manger en paix !). Tel Rossini... qui ce soir encore tire tout le meilleur des interprètes réunis sur ce plateau jeune, touchant et amusant. Le Comte Alberto se montre guindé, pittoresque, naïf, puis noble, doux et galant grâce aux bons soins du vaillant ténor Jérémy Duffau, tandis que le tuteur Don Eusebio, confié au baryton Nicolas Rivenq, s’affiche en macho italo-américain (gino) bien remonté.
Les rôles féminins sont dévorés avec encore plus d’appétit, à commencer par la servante Enestina, d’abord effrontée, puis dévergondée, encore et toujours suave comme le mezzo de Pauline Sabatier. Mieux encore, le soprano idéal pour incarner Bérénice, la marquise fiancée, est tout trouvé en Clémence Tilquin, tant par la finesse du timbre que par l’émission de rossignol et le coeur mis à démêler l’intrigue avec grâce, intelligence et détermination.
Au rythme fou des ensembles et des récitatifs fort animés, de bon concert avec le piano-forte de Flore Merlin, dans cette haletante allée et venue mise en scène de main de maître par Laurent Serrano, l’attention est bien maintenue, alimentée par l’envie générale de déguster encore un nouveau cru de Rossini, en forme optimale. Cette fringale de burlesque trouvera à se satisfaire ici-même avec la reprise annoncée de La cambiale di matrimonio (1810), la saison prochaine.
FC