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L’oracolo | L’oracle, opéra de Franco Leoni
Mala vita | Une vie de misère, opéra d’Umberto Giordano
Lorsqu’on évoque le répertoire vériste italien, c’est immanquablement la sempiternelle double affiche Cavalleria rusticana de Mascagni et I Pagliacci de Leoncavallo qui vient à l’esprit des amateurs d’opéra. Quel privilège alors, et quel bonheur aussi, de goûter à une alternative à Cav/Pag – la double bill ainsi surnommée par nos amis anglo-saxons –, surtout quand les deux œuvres, inédites pour la plupart des spectateurs, dévoilent autant de beautés musicales, associées à de très vives tensions dramatiques ! Les maîtres d’œuvre ont conçu la soirée comme un ensemble, avec de nombreux rapports entre les opus, qui traite de la dure vie du petit peuple, entre scènes de la vie ordinaire et faits divers violents. Les mêmes décors, réalisés par Cordelia Chisholm qui signe également les costumes, sont utilisés tout du long, avec uniquement des modifications aux devantures des magasins. Pour l’action située dans le quartier chinois de San Francisco, nous avons l’échoppe Chinese herbs du Docteur Uin-Sci et les clients qui vont et viennent dans la fumerie d’opium, puis dans le quartier populaire napolitain, qui ressemble ici à la Little Italy de New-York, ce sont les façades des Valentino shoe repairs et Caffè bella Napoli qui sont visibles.
L’Oracolo de Franco Leoni (1864-1948) est un opéra en un acte d’une durée de cinquante minutes environ, dont la création en 1905 au Covent Garden de Londres recueillit un franc succès. La pièce fut jouée très régulièrement jusqu’en 1930, y compris au Metropolitan Opera (New York), puis à peu près oubliée, avant un enregistrement studio en 1970 par le couple Joan Sutherland et Richard Bonynge en compagnie de Tito Gobbi, et quelques très rares reprises à notre époque (à l’Opéra de Francfort, en particulier). Tous les éléments du vérisme y sont présents, la passion, la violence, la mort. Ah-Joe et San-Lui s’aiment, mais le méchant Cim-Fen, également amoureux de la belle Ah-Joe, enlève le jeune fils d’Hu-Tsin, tue San-Lui qui délivrait le garçon, mais se fait finalement trucider à son tour par Uin-Sci, le père du gentil San-Lui.
Le rideau se lève sur un plateau dans la pénombre – les lumières sont réglées par Paul Hackenmueller –, candélabre à gauche, bouche d’incendie à droite. Au centre, un immeuble de briques tourne sur lui-même, avec des escaliers métalliques extérieurs. La distribution vocale de L’oracolo s’avère homogène et la meilleure des spectacles présentés cette année au festival [lire nos chroniques de Dinner at Eight et Il Bravo]. Dans le rôle de Cim-Fen, Joo Won Kang dispose d’un baryton puissant, disposant d’un mordant, d’une arrogance en phase avec son personnage de méchant violent, balafres au visage. Le ténor Sergio Escobar (San-Lui) est tout aussi impressionnant, passé un petit temps d’ajustement de l’intonation ; le medium est bien large et le registre aigu brillant [lire notre chronique du 7 février 2017]. Benjamin Cho (Hu-Tsin) et Leon Kim (Uin-Sci) sont deux beaux barytons au phrasé soigné, dont, pour ce dernier, l’invocation des dieux pour venger son fils constitue un passage impressionnant et émouvant. Elisabetta Farris (Ah-Joe) possède un soprano dimensionné pour le répertoire vériste, doté de fortes capacités de projection – on l’imagine sans problème dans tous les grands rôles pucciniens.
La musique est tout aussi séduisante qu’intéressante. On repère quelques mesures qui rappellent la fin du duo Mimi/Rodolfo concluant le premier acte de La bohème de Puccini. La mort de San-Lui est aussi un passage poignant, accompagné par le violon solo et le xylophone, Ah-Joe devenant folle par la suite en se coupant les cheveux. Le jeune chef (et compositeur) Francesco Cilluffo marque sa troisième venue au Wexford Opera Festival, à nouveau dans le répertoire vériste, après Guglielmo Ratcliff de Mascagni en 2015, puis Risurrezione d’Alfano l’année dernière. L’orchestre se montre fort appliqué – superbe premier violon, bois expressifs. Il est à noter que la mise en scène de Rodula Gaitanou s’écarte du livret de Camillo Zanoni, où il est indiqué qu’après l’avoir tué, Uin-Sci installe le corps de Cim-Fen sur un banc à ses côtés et que le policier, qui patrouille, pense que les deux hommes discutent discrètement. Mais la fin du spectacle est ici beaucoup plus gore : le vénérable Uin-Sci poignarde sauvagement Cim-Fen, découpe son thorax et en extrait le cœur tout sanguinolent : dans ces conditions, le policier ne peut que lui passer les menottes.
Après l’entracte, c’est Umberto Giordano qui est joué, beaucoup plus connu pour Andrea Chénier ou Fedora que pour sa rarissime Mala vita, créée en 1892 à Rome [lire nos chroniques du 28 juillet 2017, du 26 juillet 2014, du 19 septembre 2011, du 3 décembre 2009, des 7 et 14 mars 2008, ainsi que notre critique du DVD]. Également assez brève (soixante-quinze minutes), l’œuvre évoque à de nombreuses reprises Cavalleria rusticana : même si les images sont moins baignées de lumière, l’Italie du sud au XIXe siècle, les scènes de foule, la religion, la jalousie, les bagarres, ainsi que la musique… bref, de très nombreux éléments font penser à l’opéra le plus connu de Mascagni.
En Vito, le ténor Sergio Escobar est à nouveau insolent de santé vocale, même si le personnage est atteint de tuberculose et qu’il porte littéralement sa croix dans la production, tandis que Leon Kim (Annetiello) est doté d’une projection surpuissante. Les deux soprani Francesca Tiburzi (Cristina) et Dorothea Spilger (Amalia) ont des qualités et des défauts communs, de belles voix amples et expressives, mais par moments une intonation imparfaite, avec un instrument plus rond pour la première [lire nos chroniques du 3 juin 2016 et du 24 juin 2013]. La confrontation de l’Acte II, entre les deux dames qui se disputent Vito à coups de regards pleins de défi, de menaces, de crachats au sol, est un sommet. À force de persuasion et de caresses, Amalia l’emporte sur Cristina, la prostituée à qui pourtant Vito avait précédemment fait la promesse de s’unir. En ouverture du troisième et dernier acte, on décèle la sœur jumelle d’O sole mio dans la mélodie de Vito, puis les choristes, vocalement remarquables tout au long des deux ouvrages, dansent quelques extraits de tarentelle ou farandole. Là encore, le traitement visuel conclusif s’écarte des didascalies du livret : ce soir, Cristina se suicide d’un coup de pistolet, alors que le librettiste Nicola Daspuro prévoyait qu’elle rejoigne tristement sa maison de tolérance. Le chef invite à nouveau le meilleur de l’orchestre, la musique dessinant les situations et les affects avec une grande efficacité.
IF