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Chroniques
l’ouverture slave d’Emmanuel Krivine
Denis Matsuev, Orchestre national de France
On l’a connu à la tête de l’Orchestre national de Lyon, à celle de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg [lire nos chroniques du 19 février 2005 et du 18 juillet 2009], puis fondateur de La Chambre Philharmonique avec laquelle il visitait le répertoire romantique [lire notre chronique du 19 août 2010], bien après avoir été patron de l’Orchestre Philharmonique de Lorraine (aujourd’hui formation nationale), successeur de Michel Tabachnik et avant le fort agressif Gérard Akoka (dont le règne messin, si bref fut-il, marqua le début des années quatre-vingt par les nombreuses grèves de protestation qu’il a suscité, puis la négociation d’un départ urgent). Ce soir, Emmanuel Krivine, qui comptera soixante-dix printemps aux beaux jours, donne un programme slave en prémices de sa première saison au pupitre de l’orchestre national de France (à partir de septembre 2017).
Il commence avec le Concerto pour piano en ré mineur Op.30 n°3 de Sergueï Rachmaninov (1909), avec le prodigieux Denis Matsuev dans la partie soliste. Avec une énergie bien canalisée, il engage l’Allegro ma non troppo plutôt leste qui rend les cordes fluides et suaves quand le piano doit se faire plus cristallin que jamais. Il semble que le pianiste trouve un plaisir cordial à relever le défi qui met en valeur sa grande virtuosité. Les artistes détendent le chant suivant que traverse une fougue réjouissante. L’art de nuancer n’est pas en reste, grâce à la maîtrise bluffante de l’étonnant Sibérien. Dans l’instabilité volontaire du tempo, Krivine laisse malgré tout quelques couleurs au bord de la route, au profit d’une vue d’ensemble dont la tension sert magnifiquement l’esprit du mouvement, il est vrai. La poigne de la cadence écrite s’impose comme l’apothéose de du chapitre I, le premier thème revenant ensuite du lointain et un peu moins nerveux. L’Intermezzo central ne lambine pas, lui non plus, tout en laissant s’installer son atmosphère. À l’entrée fracassante du piano enchaîne la mélodie que Matsuev rend dans une calme sensualité. Puis le développement joue son petit drame où vient glisser la savoureuse surprise de la courte danse espagnole. L’attaca du Finale révèle une autorité avec laquelle on ne discute pas : désormais il est évident que le chef ne génère pas seul les fluctuations mais s’en accommode pour rencontrer l’humeur friponne du soliste. Au fond, Matsuev, en parfait connaisseur de la musique de Rachmaninov [lire nos chroniques du 12 juillet 2014 et du 24 novembre 2006, ainsi que notre critique du CD], joue ce concerto en gamin redoutablement inspiré, offrant au passage une belle cure de jouvence à notre fringuant directeur musical.
Après deux bis – Étude-Tableau en la mineur Op.39 n°2 de Rachmaninov, puis une spectaculaire improvisation jazz de Matsuev – et la demi-heure d’entracte, la Symphonie en ré mineur Op.70 n°7 (1885) d'Antonín Dvořák occupe la seconde partie, une œuvre pas très présente dans les salles, malgré ses qualités. Le premier Allegro est entamé dans une prestesse un peu sèche dans laquelle les violoncelles laissent quelques plumes. Emmanuel Krivine ne s’attarde pas sur les traits, sans escamoter les interventions vocales de la première flûte. Sous sa baguette, le Poco adagio est plus un andante dont l’écriture des vents rappelle Tchaïkovski. La vitalité du Scherzo est plaisante, sans décevoir ni vraiment retenir l’attention. Par contre, le rhapsodique Finale (Allegro) convainc tout de suite, dans sa première phase rondement menée comme dans ses délais pittoresques. Les cuivres triomphent !
HK