Chroniques

par katy oberlé

La bohème
opéra de Giacomo Puccini

De Nationale Opera, Amsterdam
- 13 décembre 2017
Amsterdam reprend La bohème( Puccini) de Benedict Andrews
© monika rittershaus

En général, dans les maisons d’opéra les fêtes de fin d’année se traduisent par le mot opérette. Combien en vit-on, de ces Chauve-Souris, Vie parisienne, Veuve joyeuse et Roulette de cœurs, juste parce que c’était Noël et qu’à Noël on s’amuse, c’est bien connu ! Seulement, cette année, regardez un peu les saisons… tout juste un Baron Tzigane par-ci, une Mam'zelle Nitouche par-là, voire des Mousquetaires au couvent chez les Papes. Inutile de chercher bien longtemps pour se rendre compte que la programmation européenne a préféré La bohème aux Comtesse Maritza et Auberge du cheval blanc. Adieu, Amour masqué, Phiphi et autres Gondoliers : l’opéra vériste de Giacomo Puccini fait l’unanimité. Signe des temps ? Tout donne à le penser, le livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica s’inspirant des Scènes de la vie de bohème de Murger (1851) qu’on pourra voir comme la critique d’un temps où la jeunesse créative avait à souffrir la misère. Et aujourd’hui, quel espoir pour une jeunesse qui n’a pas appris à bavasser avec une cuillère d’argent entre les dents ? Bonne question, reflétée dans l’inquiétude qui semble justifier que La bohème s’affiche à Berlin, Madrid, Paris et Amsterdam. Mais, au fait, la nouvelle production parisienne parlait-elle de la misère ? Au fond, oui, si loin de la planète Terre, perdue ou détruite, les émotions de quelques astronautes déjà mort traversent l’espace-temps [lire notre chronique du 1er décembre 2017]…

Au De Nationale Opera, pas de nouvelle mise en scène : sous la direction d’Astrid van den Akker l’on y reprend celle que Benedict Andrews y signait en décembre 2014, en coproduction avec l’English National Opera qui le reprit à Londres l’année suivante. L’avant-propos est bien de mise : une bande de jeunes vraisemblablement désœuvrés, squattant un grand loft privé d’électricité, s’apprête comme il peut à fêter Nouvel An. On y pratique vaguement les arts, mais comme ça, sans vocation ni but, sans y croire, comme pour s’accrocher à quelque chose dans une vie de paumé. Sans aller jusqu’à transposer l’argument de nos jours, Andrews le situe au début des années quatre-vingt. Il rapproche donc de nous cette horde de zonards sans forcer vraiment à lever les yeux vers la misère de notre temps, lorsqu’on sortira de la salle, deux heures après. Même Colline n’est pas philosophe mais un marginal qui se voile d’illusion pour oublier son estomac foutu qui se retourne comme un gant à l’idée de quelque nourriture… improbable, pourtant. Dans les costumes de Victoria Behr, la petite troupe, d’habitude si joyeuse dans l’adversité sociale mais ici plombée par une tristesse insurmontable, habite les décors parlants de Johannes Schütz, avec la neige de l’hiver mais aussi le printemps de toutes les fausses espérances où Mimi s’éteint, une Mimi petite-bourgeoise plutôt godiche qui vient perturber de ses socquettes insolentes ce grand chaud bouillant de Rodolfo. Le pauvre a l’air d’un parfait abruti faisant tout un plat quand il découvre le cadavre tiédasse de sa capricieuse amoureuse, échoué dans un coin de cuisine. Dans ce climat judicieusement morose, la liesse au café Momus laisse un parfum doux-amer assez corrosif. La proposition du metteur en scène australien, qui réalisait cet été la Medea d’Aribert Riemann [lire notre chronique du 25 juin 2017], brille d’une cohérence indiscutable.

À la tête du Residentie Orkest, du chœur maison et des gamins du Nieuw Amsterdams Kinderkoor, le chef et compositeur véronais Andrea Battistoni mène une représentation enjouée jusqu’à la fièvre, une juvénile folie qui court à sa perte. La fosse contraste comme jamais avec la scène, comme si la musique cherchait à garantir l’amusement. Cette belle performance orchestrale tourne, évidemment, à la nausée, dans le contexte particulier de cette mise en scène. Bien vu, donc, maestro ! L’intensité dramatique des pires moments prend un jour presque dérisoire, tant c’est attendu, comme l’accompagnement de corbillard pour la chanson du manteau.

Un plateau vocal de choix défend honnêtement l’option générale du spectacle. On applaudit sincèrement Matteo Peirone (Alcindoro) et Morschi Franz, luxueux Parpignol. J’y retrouve avec plaisir quelques artistes au talent desquels je ne suis pas insensible, comme Gianluca Buratto, souvent salué dans nos colonnes [lire nos chroniques d’Amleto, Turandot, Orfeo et L’incoronazione di Poppea], campant un Colline fragile, mais aussi Thomas Oliemans en Schaunard très nuancé [lire nos chroniques de Comala, Billy Budd et Rheingold]. Le quatuor de tête est tenu de manière exemplaire par quatre jeunes chanteurs idéalement choisis. Bravo à Mattia Olivieri pour son Marcello tout charme et suavité, à l’excellent Olga Kulchynska, Musetta, soprano ukrainien doté de moyens vocaux généreux, ainsi qu’à Eleonora Buratto, lyrique à souhait en Mimi. J’avais beaucoup aimé le ténor Sergueï Romanovsky dans Rossini à Pesaro [lire notre chronique du Siège de Corinthe] – le meilleur pour la fin, donc : il livre un Rodolfo de rêve, une prise de rôle magnifiée par une voix projetée, brillante et câline comme jamais entendue. Merveilleux, ce chanteur slave nous transporte dans l’âge d’or des grands ténors italiens – et quel physique !

KO