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Chroniques
La Calisto | Calixte
opéra de Francesco Cavalli
Après le Grand Théâtre de Genève [lire notre chronique du 17 avril 2010], au Théâtre des Champs-Élysées de proposer sa nouvelle production de La Calisto de Cavalli. Il en confie la musique à Christophe Rousset et la mise en scène à Macha Makeïeff. Alors que celle montée par René Jacobs et Herbert Wernicke est toujours si vivante dans les esprits, il est clair qu'une œuvre aussi belle mérite d'autres regards. Mais ce chef-d'œuvre est si subtil et si ambiguë que, pour séduire, il nécessite beaucoup de poésie et d'humour. C'est peut-être ce qui manque le plus ce soir.
Premier écueil : la musique elle-même, car à la partition de Cavalli il manque des parties. Contrairement à René Jacobs, Christophe Rousset évite d'aller chercher chez des contemporains de Cavalli la musique manquante. Évitant le récent contre-sens genevois qui avait recherché des musiques plus contemporaines, le chef a trouvé les ressources nécessaires chez le compositeur lui-même. Cherchant à rester fidèle à l'instrumentarium original, il l'enrichit d'une harpe, de flûtes et d'un cornet qui s'ajoutent au clavecin et à l'orgue, remplaçant les violes par un violoncelle et une contrebasse. Les Talens Lyriques se présentent à nous en tout petit ensemble d'une dizaine d'instrumentistes. Ses fins musiciens offrent de belles couleurs sans toutefois parvenir, au nom de la fidélité musicologique, à faire entendre ces mélodies charmantes qui caractérisent le Vénitien. Car si le lirone souligne la noblesse et le tragique, la harpe et les luths la lumière céleste et l'onde vagabonde, si du clavecin et au pupitre Christophe Rousset souligne l'éloquence, le sentiment d'une absence de fluidité et de légèreté demeure.
Second écueil : la mise en scène, les décors et les lumières.
La Calisto appartient à ce genre appelé théâtre à machine. Au XVIIe siècle, à Venise, un public populaire venait s'émerveiller des effets fantastiques produits par des procédés toujours plus complexes rendant crédibles le monde où évoluaient les dieux. Mais l’ouvragefait également osciller son univers entre poésie raffinée et évocation de la sexualité débridée et sans complexe de ces dieux. Macha Makeïeff a choisi d'atténuer les allusions aux amours interdites présentes tout au long des Métamorphoses d'Ovide. Elle gomme ce qui peut choquer et fait porter aux seuls satyres la charge de lascivité, de cruauté et de violence. La direction d'acteurs est inexistante. Les décors sont sobres mais sans magie, limités à un fond noir où sont stylisées des étoiles. Le char de Phaéton est un ridicule petit biplan dont on imagine mal qu'il ait pu faire tant de dégâts. Quelques rochers bleus, des éléments mobiles (arbres, source sous forme de fleurs, etc.) viennent compléter l’ensemble. Enfin, quelques machines : des nacelles en étoiles rondes, permettant aux dieux de monter ou de descendre du ciel. Les éclairages sont criards et n'éveillent aucun mystère. Restent des costumes plutôt agréables pour les dames, tandis qu'inélégants s'avèrent ceux des hommes (Jupiter en pantalon de cuir moulant, Endymion en chemise kaki).
La distribution, sur le papier plus que séduisante, est la surprise de la soirée.
Car ce sont les chanteurs, et tout particulièrement les chanteuses, qui dévoilent le mieux les charmes de LaCalisto. Avec, tout d'abord, Sophie Karthäuser dans le rôle-titre. Sa voix si fraîche, si légère et si mozartienne est celle de la nymphe des sources. Aussi farouche que Manon, elle charme par sa fragilité et sa fougue. Son timbre est clair, ses aigus lumineux, ses graves poignants. Ardente, sa Calisto est une révélation. Dans le rôle Junon, Véronique Gens fait son retour sur la scène parisienne. En véritable tragédienne, elle est une reine des dieux marmoréenne, mais aux failles tellement humaines. Son éloquence et son timbre mordoré soulignent les blessures de cette femme (déesse) meurtrie. Marie-Claude Chappuis campe une Diane séduisante, au timbre ambré et chaud ; sa voix se montre brillante et souple. Dans les rôles de Linfea et de Satirino, que les productions récentes ont confiés à des hommes, Christophe Rousset préfère des femmes, comme au temps de Cavalli. Milena Storti et Sabina Puértolas s'amusent follement et nous régalent. Vocalement, c'est surtout cette dernière dont le timbre frais convient parfaitement au personnage malin et avide de sexe.
Chez les hommes, Giovani Battista Parodi donne un Jupiter charmeur qui, dans le rôle travesti de Diane, se livre avec une maladresse attendrissante à un numéro de séduction tirant plus sur le comique de situation que sur son trouble. Son timbre de velours en fait un véritable latin lover. Si Mario Cassi est un Mercure désinvolte et roué à souhait, on retiendra la prestation de Cyril Auvity en Pan. Son timbre aux couleurs émouvantes apporte au personnage une nuance de désespoir qui le rend plus attachant que de coutume. Quant à l'Endymion de Lawrence Zazzo, il paraît vocalement bien terne en comparaison de celui que Bejun Mehta livrait récemment.
Cette production est plus intéressante que celle de Genève du point de vue de la fidélité musicologique. C'est avant tout par sa distribution qu'elle enchante et brise en partie la malédiction qui, depuis le XVIIe siècle, semble poursuivre la musique de Cavalli auprès du public français.
MP