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Chroniques
la cantate romaine
Max Emanuel Cenčić
Explorant la cantate romaine et son heure de gloire, quatre musiciens soutiennent le contre-ténor Max Emanuel Cenčić dans un programme pertinemment conçu qu’il ouvre en douce introspection par l’air L’alma mia extrait de l’opéra Floridante de Händel, le Saxon qui, jeune, séjourna en Italie afin de s’aguerrir à l’art des plus grands et – on peut bien l’imaginer à défaut d’en être tout à fait sûr – d’y rencontrer une inspiration plus lumineuse que les éternelles inondations du printemps de Halle ou Leipzig (si Keates évoque ces déluges dans son ouvrages, votre serviteur en fit lui-même l’expérience et peut vous assurer qu’en cette partie du globe, aucun bouleversement climatique n’est survenu depuis le XVIIIe siècle).
Laissant naître subtilement les attaques, accompagnant toujours très loin les phrases, le chant de Cenčić apparaît dès l’abord d’une extrême souplesse. Ce qui étonne, c’est de ne pas commencer par un air virtuose mais, au contraire, par la rondeur du recueillement, imposant un ton autre, une vision personnelle de ce que peut être un moment de musique à la thématique structurée à partager avec le public.
La soirée alternant pages instrumentales et cantates, nous entendons ensuite la Sonate en ut majeur HWV365 du même Händel qui permet de plus appréhender le remarquable talent de la flûtiste Dorothee Oberlinger dont l’interprétation délicatement ornée parvient à chanter et danser cette musique fluide et élégante. De même écouterons-nous plus tard la Sonate en si majeur (original en fa majeur) de Giuseppe Sammartini, virevolte joyeusement contrastée, dans une exécution formidablement agile.
Le vif du sujet : trois cantates brillantes, observant toutes la forme convenue (deux airs précédés chacun d’un récitatif, parfois d’un arioso). Rappelons en passant que ce modèle ancien fut celui par le respect duquel les candidats au Prix de Rome durent concourir pendant très longtemps, comme en témoignent de nombreuses cantates aujourd’hui oubliées et quelques-unes – comme La mort de Cléopâtre (Berlioz), par exemple – que l’on continue de jouer avec bonheur (sans qu’elles aient nécessairement permis de couronner leurs auteurs, d’ailleurs). Plongée dans la vocalité brillante de Mi palpita il cor de Händel, champion bientôt britannique du chant italien, l’écoute en goûte le lamento délicatement articulé dans une tendresse inouïe, où l’artiste a l’intelligence et le goût de « madrigaliser »l’inflexionplutôt que de la rendre « opératique ». Plus enjoué, le second air livre des rodomontades parfaitement menées, par la voix comme par la flûte, avec un accompagnement qui se fait incroyablement vocal – théorbe d’Imamura Yasunori, Aline Zylberajch au clavecin.
Suivent deux cantates du Napolitain Domenico Scarlatti, né, comme Händel, en 1685 : Fille, già più non parlo et Qual pensier, quale ardire. Le récitatif introductif de la première s’avère d’une approche plus sensible encore. Cenčić n’y force jamais l’écoute, sachant l’absorber avec grand charme, grâce à un impact vocal à nul autre pareil, si ce n’est un opulent mezzo-soprano féminin. Il orne l’air correspondant sans exagération, mettant l’art au service d’une cohérence expressive et non d’une virtuosité de surface. Nettement plus inquiet, le second récitatif rencontre une interprétation presque théâtrale, ouvrant sur un air d’inspiration espagnole où le contre-ténor déploie des trésors de nuances. Les premiers pas de la dernière cantate nous font dire que le plus impressionnant fut gardé pour la fin. La couleur s’y affirme tandis qu’une puissance jusqu’alors utilisée à l’économie est généreusement convoquée. Le premier air contraste suavité et furie en un da capo époustouflant. Le second, monstrueusement diversifié, bouleverse l’oreille par le recours à des intervalles spectaculaires dont se joue l’art indéniable de Max Emanuel Cenčić et de ses complices.
BB