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Chroniques
La Cenerentola ossia La bontà in trionfo
Cendrillon ou La bonté triomphante
Parce qu’elle fut montrée sans être prête à la première du 25 octobre, la sagesse professionnelle dictait d’attendre pour se faire une idée de cette Cenerentola dont on pensait, à juste titre, qu’elle méritait mieux qu’une approche contrariée. L’impression relativement positive qu’elle laisse ce soir, avant sa reprise à Mulhouse et à Colmar, ne vaut-elle que par contraste ? Ce n’est pas exclu, partant que pour avoir assez brillamment ficelé sa scénographie et fait courir son monde Sandrine Anglade n’en a pas moins oublié de donner corps aux personnages, quand bien même elle les sortit du conte pour qu’ils partageassent l’existence de tout un chacun. Onirique, dites-vous ? Par-delà les peu pardonnables soucis de machinerie qui entravaient ses premiers pas, la nouvelle production de l’Opéra national du Rhin bondit du Vaudeville au boulevard en passant par le Théâtre des Italiens via le dessin animé : gageons que Rossini l’aurait applaudie, pourvu que la salle arborât un sourire béat – et c’est le cas ! –, mais ce genre de rêves se procure aux grandes soldes de janvier.
Soyons juste : dans le détail, ce n’est pas si moche que ça en a l’air, les castelets imaginés par Claude Chestier flattant ingénieusement l’âme d’enfant qui sommeille en nous ; dans le même esprit, Pascaline Verrier a sans doute conçu sa chorégraphie pour faire plaisir : mais n’est-ce pas précisément parce que nous sommes des enfants de la télévision que ces paillettes nous caressent quelque peu ? En répondant le plus docilement qui soit aux attentes d’un public souvent paresseux, pour ne pas dire assoupi – le digne héritier de celui qui dégustait son digestif devant Au théâtre ce soir ou La piste aux étoiles, il y a quelques décennies –, ce spectacle est donc plutôt « gentil », à l’instar des précédentes mises en scène rossiniennes de son auteure (L’occasione fa il ladro ici même, L’Italiana in Algeri à Lille), vraisemblablement moins inspirée par l’univers de ce compositeur que par ceux de Prokofiev/Gozzi [lire notre chronique du 5 mai 2010] ou de Gounod/Molière [lire notre chronique du 3 octobre 2009].
Nous le signalions récemment [lire notre chronique du 17 mai 2013], il n’y a guère lieu de tenir en mépris l’Orchestre symphonique de Mulhouse qui, pour disposer de moins d’occasions que son hautaine voisine nordique pour se bonifier, sait humblement les saisir et faire des pas de géant, ce qui n’est pas le cas de tout le monde – bien qu’aujourd’hui tout est à craindre, avec son nouveau directeur musical. Fort heureusement, c’est au brillantissime Enrique Mazzola qu’on a confié la fosse ; « fort heureusement » pour l’orchestre qui sous sa battue inspirée se révèle preste et contrasté, presque électrique, et d’une précision rythmique infernale, mais moins pour le chef italo-espagnol qui doit à l’heure actuelle se contenter de formations peu aptes à répondre à son immense talent – en tant qu’actuel « patron » de l’Orchestre national d’Île-de-France, il n’y est guère mieux loti qu’ici [lire notre chronique du 13 mai 2012]. Tout en jouant volontiers des répertoires très diversifiés et même la musique du XXe siècle [lire notre chronique du 22 février 2007], Enrique Mazzola est un grand interprète (et connaisseur) du répertoire italien [lire notre chronique du 13 juin 2008, entre autres] doublé d’un amoureux non moins grand des voix. Sa riche polyvalence nous vaut une Cenerentola incandescente !
On ne saurait en dire autant du plateau vocal…
Le duo des péronnelles est résumable à une assourdissante bataille de décibels, Hendrickje Van Kerckhove (Clorinda) et Sophie Pondjiclis (Tisbe) se « bouffant le nez » à qui-mieux-mieux. La basse usée d’Umberto Chiummo suffoque dans la partie du vieux barone di Monte Fiascono, du coup plus vrai que nature. Quant au prince et à son valet, bien que tous les deux satisfassent aisément le coup d’œil l’oreille ne saurait en dire autant : le bel Edwin Crossley-Mercer (Dandini) dispose d’une voix à la mesure du plumage, certes, mais n’a que faire du style et encore moins de l’incarnation qu’il escamote d’un surjeu étouffant, quand le ténor roumain Bogdan Mihai (Ramiro), non moins beau, sollicite assez maladroitement ce qu’il est convenu d’appeler un « joli brin de voix ».
Quatre raisons valaient qu’on subît deux fois cette Cendrillon : l’excellente Maîte Beaumont dans le rôle-titre qu’en bonne mozartienne [lire notre chronique du 23 juillet 2007] elle honore d’un « sublissime » legato et d’une agilité remarquable, ce chef sympathique qu’on ne résiste pas à mentionner une nouvelle fois, l’efficacité du Chœur maison et enfin la jeune basse sicilienne Ugo Guagliardo, luxueusement distribué en Alidoro que la noblesse de sa ligne de chant magnifie, ainsi que la superbe de la couleur et l’à-propos de la présence.
Quand, une vraie bonne soirée lyrique chez nous ?...
KO