Recherche
Chroniques
La Cenerentola ossia La bontà in trionfo
Cendrillon ou La bonté triomphante
Cendrillon, un conte de fées ? Non, une bande dessinée ! Tel est le parti-pris de Davide Livermore qui signe une mise en scène inventive, pop art et, en définitive, très réussie de La Cenerentola de Rossini. L'Ouverture ne laissait pourtant pas présager pareille fantaisie. Sous la direction de Marko Letonja, l'Orchestre national de Montpellier sonne d'abord un peu trop sage, voire imprécis. L'ensemble s'affermit peu à peu, mais les nuances ne sont pas toujours exécutées avec subtilité et la fosse n'apporte pas l'énergie qui électriserait les crescendossi caractéristiques de cette musique.
Fort heureusement, ces petites imperfections sont reléguées aux oubliettes dès le lever du rideau, tant la mise en scène et la direction d'acteurs prennent le pas et galvanisent le tout. Les décors et les costumes de Santi Centineo donnent le ton. Une cuisinée équipée jaune et blanche à cour, un panneau blanc zébré de noir aux ouvertures jaune flashy à jardin, trois vidéos en fond de scène surplombent les personnages avec dessins et bulles où s'inscrivent des points d'interrogation, crash ou love : nous voilà plongés dans l'univers de la bande dessinée, façon Roy Lichtenstein.
Au centre du plateau trône la table à repasser sur laquelle s'escrime la pauvre Cendrillon, visiblement peu douée pour les corvées ménagères. Elle brûle le linge, avant de faire un même sort au rôti qui, du four, laisse échapper des nuages de fumée. Elle connaît plus de succès avec l'aspirateur, mais c'est qu'en parfait robot l'appareil se déplace tout seul. Si cette femme de ménage n'est pas irréprochable, son chant, en revanche, n'appelle guère de critique. La voix du mezzo-soprano Kate Aldrich s'apparente à un bon vin de Bordeaux dont la robe intense, l'arôme fruité et la limpidité se seraient incarnés en un grain capiteux, un timbre velouté et une agilité sans faille dans les vocalises.
Le reste de la distribution est assez homogène. Sans avoir des voix exceptionnelles, les deux sœurs Laura Hynes Smith (Clorinda) et Eugénie Danglade (Tisbe) emportent l'adhésion par leurs talents de comédiennes. Grâce à des costumes en miroir et un jeu complémentaire, elles forment un trio irrésistible avec leur père, Alfonso Antoniozzi signalant son Don Magnifico par une voix sonore et un jeu expressif autant que drôle. À la limite de la caricature, ces rôles permettent de surjouer, ce dont ils ne se privent pas ! En Don Ramiro, Juan José Lopera livre une voix claire et agile, typique du ténor rossinien ; s'il est un peu tendu dans les aigus, il ne démérite pas, de même que son complice Paul Kong, Dandini dont les quelques soucis dans la diction italienne se font oublier par un jeu pétillant. Enfin, dans son habit d'universitaire britannique, la basse Simon Orfila incarne un sage Alidoro, voix profonde et posée.
Le Chœur maison occupe une place de choix. Tout de blanc vêtus, ses artistes accompagnent régulièrement l'action et, bien dirigés eux aussi, complètent ce spectacle total parfaitement abouti. Car cette mise en scène en perpétuel bouillonnement ne laisse rien au hasard. Le moindre espace est habilement occupé, la moindre pause musicale ornée par un jeu de scène. Loin de masquer une quelconque peur du vide, ce foisonnement d'idées traduit un soin constant d’exploiter toutes les ressources de l'opéra-comique. La citrouille devient moto, la robe de bal est transformée en sarouel doré, la machine à laver déverse un flot de grosses bulles de savon quand Cendrillon et le prince découvrent leur amour. Impossible de citer toutes les trouvailles scéniques : tout est permis – on en redemande !
IS