Chroniques

par françois cavaillès

La Cenerentola ossia La bontà in trionfo
Cendrillon ou La bonté triomphante

dramma giocoso de Gioachino Rossini
Festival de Saint-Céré / Théâtre de l’Usine
- 11 août 2021
"La Cenerentola" de Rossini au Festival de Saint-Céré 2021
© ariane maurisson

« La Cenerentola est la musique la plus heureuse, la plus gaie et la plus aisément charmante qu’on puisse rêver ; l’allégresse et la pétulance italiennes exécutent sur les portées de la partition les gambades les plus joyeusement extravagantes en faisant babiller au bout de leurs doigts, comme des castagnettes, des grappes étincelantes de trilles et d’arpèges. Tout rit et tout chante ! » (Théophile Gautier, Beautés de l’opéra, 1845). Cette extraordinaire intensité festive, ainsi décrite par le poète encore marqué par le pays des castagnettes – son Voyage en Espagne parut également en 1845 – se retrouve dans la représentation de clôture du Festival de Saint-Céré, riche en farce burlesque. De Rossini, voici le dramma giacoso le plus populaire – il visite régulièrement notre actualité et presque chaque année ces dernières saisons [lire nos chroniques du 19 juin 2005, du 17 octobre 2009, du 23 mars 2010, du 5 novembre 2013, du 10 juin 2017, du 10 mars 2018, du 18 décembre 2019 et du 14 septembre 2020] –, pour le plus grand plaisir d’une salle comble, connaisseuse (le bouche à oreille aidant) ou curieuse de la première mise en scène opératique de Clément Poirée, directeur du Théâtre de la Tempête.

Et le spectacle n’arrête jamais ! Chanteurs intenables et orchestre frétillant animent sans relâche le centre de la scène, souvent débordé mais très vivant. Première surprise, le superbe décor multicolore d’Erwan Creff évoque un vieux hall de cinéma à balcons et une jolie boîte à bonbons, tantôt brillant sous des lumières dorées de Carlos Perez [lire notre chronique de Tancrède], qui s’ouvre à la magie des courses folles, aux mises en abyme oniriques ou drôles devant le rideau vert du fond. S’y ajoute volontiers le kitsch des costumes que signe Hanna Sjödin [lire notre chronique de Je suis un homme ridicule], en donnant à certains la touche de personnages de Scerbanenco*. Chacun gesticule dans le bon rythme du début à la fin, selon la partition et dans le sens théâtral aiguisé de Clément Poirée. À ce jeu trépidant, les plus hauts en couleurs sont difficiles à départager dans l’excitation générale – sans omettre quelques tableaux émouvants de poésie et de vérité (par exemple, pour signifier la détresse couvée de l’héroïne à l’orée du quintette).

Si argument et personnages ne sont plus à découvrir, les interprètes forment une troupe intéressante à détailler. Des deux sœurs jalouses, la Tisbe d’Inès Berlet a plus d’abattage pour jouer très physiquement ce type d’opera buffa [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, Les contes d’Hoffmann et Croesus]. Les qualités vocales en revanche sont davantage remarquées chez la Clorinda de Morgane Bertrand, au timbre et à l’émission de gracieux soprano léger, enrichis d’un solide tempérament [lire notre chronique du Requiem de Mozart]. Pari bien tenu pour la jeune basse Matthieu Toulouse qui campe l’étrange Alidoro avec bonne intelligence, en soignant notamment les accents nobles dans l’émission. La difficile ligne de la cavatine Là del ciel nell’arcano profondo est suivie avec courage. Épanoui dans le déballage lyrico-caricatural du baron Don Magnifico, le baryton-basse Franck Leguérinel relève allègrement les défis de diction et de vélocité tout en se montrant excellent partenaire, dans les grands ensembles [lire nos chroniques de La vedova scaltra, L’Italiana in Algeri, Falstaff, Platée, Il barbiere di Siviglia, Cendrillon, Fantasio, Le médecin malgré lui, Le postillon de Lonjumeau et Madame Favart]. Les subtilités du chant rossinien sont vaillamment mises en lumière par le baryton Philippe Estèphe, Dandini fluide, puissant et capiteux [lire nos chroniques de Peer Gynt, Carmen et Le comte Ory], et par le ténor Camille Tresmontant, touchant Ramiro, soigneux et remarquable dans l’air Si, ritrovarla io giuro [lire nos chroniques de Don Carlo, Die Zauberflöte, Semiramide, Le devin du village, Don Giovanni et Don Quichotte]. Enfin le rôle-titre est bien tenu par le mezzo-soprano Lamia Beuque qui s’approprie vite le personnage, plaçant savamment les ornements et galvanisant certaines roulades ainsi que la cabalette finale [lire nos chroniques de Rusalka, Ariane et Barbe-Bleue, La clemenza di Tito et Corradino, cuor di ferro].

Pour les solistes comme pour les chanteurs du Chœur Opéra Éclaté, les cadeaux ne manquent pas sous la direction de Gaspard Brécourt, chef fort attentif à une expressivité juste qui soutient la dynamique rossinienne de manière primordiale. Sans trompettes ni trombone, l’Orchestre Opéra Éclaté excelle en petite formation : quand bien même les récitatifs laissent place à de brefs passages parlés en français, l’essentiel est bien là.

FC

* L’écrivain italien d’origine ukrainienne Giorgio Scerbanenco (1911-1969,
né Volodimir-Djordjo Chtcherbanenko), auteur de nombreux polars
dont plusieurs furent adaptés pour les écrans (grand et petit)