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Chroniques
La ciudad de las mentiras | La ville des mensonges
opéra d’Elena Mendoza
Près de trois ans après sa disparition, la mémoire de Gerard Mortier demeure encore vive au Teatro Real, au travers des créations qu'il avait commandées pour l'institution madrilène. Cette dernière lui dédie les représentations de La ciudad de las mentiras, ouvrage d'Elena Mendoza donné en première mondiale en ce mois de février dans la capitale espagnole.
À partir de quatre nouvelles de Juan Carlos Onetti (1909-1994) – La novia robada (La fiancée volée), Un sueño realizado (Un rêve devenu réalité), El infierno tan temido (L'enfer le plus redouté) et El álbum (L'album) –, Matthias Rebstock, qui signe également la mise en scène à laquelle collabore la compositrice, a imaginé un croisement des destins des quatre héroïnes des récits respectifs, dans Santa María, ville vide de sens dont on ne s'échappe que par le mensonge et l'illusion, vers une existence plus réelle et plus vraie que la réalité. Plutôt qu'une superposition des intrigues à la manière contrapuntique d'un Zimmermann, dans Die Soldaten, les auteurs fragmentent les narrations pour les mettre en miroir. Pour séduisante que puisse paraître l'initiative, la réalisation déroute rapidement le spectateur, en particulier s'il ne connaît pas la source littéraire, et délite souvent l'intention polyphonique en mosaïque dramaturgique.
La partition ne se révèle pas étrangère à cette impression d'évanescence – et témoigne au passage de l'éclectisme assumé de Mortier, mettant à l'affiche des esthétiques aussi diverses qu’Adriana Mater de Kaija Saariaho [lire notre chronique du 10 avril 2006], Brokeback Mountain de Charles Wuorinen [lire notre critique du DVD] ou El público de Mauricio Sotelo [lire notre critique du DVD]. Quoique faisant appel à un double effectif – en fosse et, dans une spatialisation acoustique spéculaire, dans la loge royale, le tout avec un appoint informatique du SWR Experimentalstudio, sous la régie de Joachim Haas –, l'orchestre se confine sous dans les marges de l'émission instrumentale, sinon des cellules thématiques borborygmiques, à la recherche d'une raréfaction de la matière sonore et lyrique, un peu à la manière d'un Sciarrino.
Symptomatiquement d'ailleurs, les parties chantées font peu appel à la tradition des gosiers et privilégient une déclamation plus théâtrale qu'opératique. L'originalité revendiquée par Mendoza réside dans le doublement imitatif des personnages dans l'orchestre, dont certains pupitres assument des incarnations secondaires masculines anonymes, à la façon d'un chœur. Mais plus qu'un renouvellement du théâtre musical, de ses codes et de ses frontières, le résultat en émousse l'essence dialectique et relève surtout d'une installation artistique qui finit par devenir bavarde avant l'expiration des quatre-vingt minutes que dure la pièce.
On pourra cependant saluer la scénographie composite et élégante de Bettina Meyer, rehaussée par les lumières d'Urs Schönebaum, juxtaposant les lieux dans un onirisme que n'aurait pas renié Chirico. Côté interprètes, aux quatre héroïnes – Gracia (Katia Guedes), Carmen (Anne Landa), Moncha (Anna Spina) et la femme d’Un sueño realizado (Laia Falcón) – s'ajoutent une actrice (Ana Bercianos), ainsi qu'une galerie de messieurs : le docteur Díaz Grey (Graham Valentine), Risso (David Luque), Jorge (Michael Pflumm), Tito (Tobias Dutschke, également serviteur) et Langman (Guillermo Anzorena). Mentionnons enfin la baguette attentive et convaincue de Titus Engel.
GC