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Chroniques
La clemenza di Tito | La clémence de Titus
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Aux origines de La Clémence de Titus est un acte politique.
À l’occasion de son accession au trône de Bohême, l’empereur Leopold II commande à Mozart un opéra. Il y a néanmoins quelques contraintes : l’ouvrage doit donner de lui l’image d’un souverain éclairé, comme les Lumières les affectionnent. Le choix du sujet tombe bien naturellement sur Titus.
Empereur romain de 79 à 81, Titus sera, après une jeunesse de violences, de libertinages et d’abus, l’un des empereurs les plus humains et les plus aimés de l’histoire de Rome. Connu pour son amour interdit pour Bérénice, reine de Judée, qu’il renvoie à contrecœur chez elle pour rassurer son peuple, il est aussi connu pour une générosité et un dévouement sans égal parmi ses pairs, ainsi que pour un comportement exemplaire envers les victimes des diverses catastrophes qui ont ponctué son règne, et notamment celles de Pompéi et Herculanum, les deux cités détruites par une éruption du Vésuve durant l’été 79.
Quand Mozart s’attelle au projet, il reprend un livret écrit un peu plus tôt par Métastase, qui servit à quelques compositeurs avant lui. Toutefois, pour mieux appuyer les qualités du souverain, ce livret est revu et corrigé. Le résultat n’est pas des plus heureux : assez plat, il laisse peu de place à un véritable développement psychologique de l’intrigue et des personnages.
À toutes ces contraintes s’en ajoute une autre : le délai. Mozart va en effet rédiger la partition en moins de six semaines, alors même qu’il travaille à La Flûte Enchantée et aux premières ébauches du Requiem. Pour l’aider dans cet énorme labeur, il fera appel à Franz Xaver Süßmayr, celui-là même qui, à la demande de Constance, achèvera le Requiem. Ce faisceau de circonstances explique sans doute pourquoi, malgré quelques airs sublimes, l’ouvrage n’est pas autant joué que d’autres – le traitement musical lui-même n’est pas toujours au niveau escompté, de la part d’un Mozart de la maturité.
La première victime de ces imperfections est sans doute le rôle de Titus. Dans cette nouvelle production de l’Opéra-Théâtre d’Avignon, il faudra tout le talent et le métier de Gilles Ragon pour faire vivre ses atermoiements incessants de souverain compulsivement gentil et magnanime. Il est au passage amusant de remarquer que Mozart donne son rôle-titre à un ténor, tessiture associée pour lui aux gentils sans reproche, mais sans non plus trop de caractère ou d’intelligence (Tamino, Don Ottavio, etc.). La mise en scène d’Alain Garichot souligne également la majesté de Titus, de même que les traits remarquables des autres personnages, le dépit de Vitellia ou la naïveté enfantine d’Annius et Servilia. Respectueux et sobre, Garichot rappelle que la pièce s’inspire autant de Sénèque et de Suétone que de Racine et de Corneille.
Dans ce contexte, ce sont les performances de Caroline Mutel (touchant Servilia) et plus encore celle de Karine Deshayes qui retiennent l’attention. Incarnant Sextus – prince romain déchiré entre sa loyauté envers son empereur et néanmoins ami et son amour passionné pour Vitellia, amante délaissée et jalouse de Titus, qui le pousse à la trahison –, cette dernière est non seulement chanteuse mais encore comédienne à la présence naturelle et magnétique, capable d’animer les très longs récitatifs. Sa voix est bien placée, équilibrée, agile et maîtrisée, son timbre charnu et la souplesse de ses phrasés reflétant à merveille la douleur du personnage, à la fois profond et émouvant.
JS