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Chroniques
La clemenza di Tito | La clémence de Titus
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Dans le cadre de l'intégrale Mozart, Peter Ruzicka reprend les productions mozartiennes crées lors des précédentes années. La clemenza di Tito dans la vision de Martin Kušej, le directeur de la partie théâtrale du festival, se voit donc reprogrammée dans le cadre toujours grandiose et spectaculaire du manège des rochers. La Felsenreitschule est une scène immense aux possibilités scénographiques variées mais également limitées. Deux solutions s'offrent au metteur en scène : se servir du cadre comme décor naturel – c’était le cas de la production de Die Gezeichneten de Schreker [lire notre chronique du 4 août 2005] – ou recouvrir complètement les arcades taillées dans la roche. C'est cette seconde option que retient le décorateur Jens Kilian.
Le spectateur se retrouve face à un vaste palais de béton brut sur trois étages dont n'émerge qu'une vaste pièce centrale aux murs de marbre. Indéniablement impressionnant, ce décor laisse pourtant une impression de gigantisme gratuit. Martin Kušej est certainement l'un des scénographes les plus doués du moment. D'une grande virtuosité, sa direction d'acteur est prenante et fascinante mais il se sent souvent obligé d'y ajouter des idées difficilement compréhensibles. Que dire d'un Prologue où Tito court dans le palais et arrête sa course pour téléphoner ? Que penser aussi de petits garçons en slip qui comblent le décor à la fin de l'Ouverture et du retour de ces enfants torse nus et allongés sur des tables à la fin de l'opéra ? Que comprendre d'un peuple romain réduit à des touristes égarés qui acclament un empereur ?
L'aspect le plus critiquable, voire irritant, reste la conception du personnage du Tito qui fait tomber à plat une grande partie du sens et de la portée de l'ouvrage. Selon Kušej, il est une sorte d'adolescent attardé, immature, inconscient et falot, et son pardon final n'apparaît accordé que sous la contrainte de son entourage. Dans le même esprit de placage, Publio est présenté comme un ambitieux qui n'hésite pas à se coiffer de la couronne de laurier de son maître absent.
Fort heureusement, la partie musicale ne mérite que des éloges. Pour ce qui est vraisemblablement sa dernière apparition au Salzburger Festspiele, Nikolaus Harnoncourt ose une direction d'une lenteur inouïe et d'une tension magique. Il faut passer l'Ouverture et les premiers airs pour s'y habituer, mais l'esprit est emporté dans un parcours musical unique. Au diapason de cette conception, les Wiener Philharmoniker livrent les plus capiteuses et soyeuses sonorités dans des nuances infinies.
Sur le papier, la distribution réunie pouvait paraître idéale, et c'est peu dire que les attentes soulevées ont été comblées. Sesto incontournable avec Susan Graham, le mezzo Vesselina Kasarova [photo] est dans un très grand soir : son timbre unique est d'une séduction sonore et d'une beauté sans égales ; maîtrisant les moindres recoins du personnage, elle réussit à en rendre toutes les facettes à travers une élocution qui sous-tend le drame et les passions de chaque mot. Ténor mozartien fétiche du festival, Michael Schade est un Tito convaincant, en dépit d'un léger manque de charisme vocal. La Vitellia de l'excellente Dorothea Röschmann est parfaite d'aisance vocale et d'engagement scénique, tout comme la Servilla de Veronica Cangemi.
Les rôles de travestis ont toujours convenu à merveille au mezzo Malena Ernman : la chanteuse est un Annio idéal, au timbre rond et chaleureux. Le petit rôle de Publio est confié au jeune Luca Pisaroni qui ne fait qu'une bouchée de ses notes : au fil des représentations, ce chanteur s'impose grand baryton. La prestation du Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, bien préparé par Andreas Schüller, est au dessus de tout reproche. En dépit d'une mise en scène intéressante mais largement critiquable, ce spectacle magnifié par des musiciens
d'exception est l'un des grands moments de ce festival.
PJT