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Chroniques
La conférence des oiseaux
spectacle musical de Michaël Levinas
« La principale vitrine de l'avant-garde était le séminaire d'été de Darmstadt, cet institut pour la nouvelle musique, mis sur pied en 1946 avec le soutien des autorités américaines de radiodiffusion – la Nordwestdeutscher Rundfunk (NWDR), établie à Hambourg et à Cologne, et la Südwest Rundfunk (SWR), de Baden-Baden – jouaient également un rôle de premier plan en commandant, présentant et diffusant les créations de compositeurs du moment. En 1950, Heinrich Strobel, directeur musical de la SWR, relança l'ancien festival de Donaueschingen [lire nos chroniques du 16 octobre 2016, des archives discographiques des Donaueschinger Musiktage 2010 puis notre feuilleton sur les Donaueschinger Musiktage 2017 : épisodes 1, 2, 3, 4 et 5], tandis que l'année suivante la NWDR mettait en place son studio de musique électronique à Cologne. Ces conditions étaient presque aussi favorables qu'en Italie, où le gouvernement démocrate-chrétien finançait généreusement la culture. Ainsi, en 1955, un studio comparable était inauguré à Milan. A la fin de la décennie, des compositeurs américaine, japonais ou coréens venaient en Europe mettre à profit ces équipements hors normes. »
Michaël Levinas s'inscrit dans ce tableau d'école vite brossé par le journaliste new-yorkais Alex Ross (The rest is noise, Actes Sud, 2010). En ). En 1985, année de la création de La conférence des oiseaux à Paris [lire notre chronique du 1er avril 2006], son passage par Darmstadt est présenté comme un stage de formation. Avec cette œuvre courte et singulière, non théâtrale bien qu'inspirée par une pièce réalisée par Peter Brook et Jean-Claude Carrière à partir du conte persan Mantiq at-Taïr (signé du poète soufi Farid Al-Din Attar, en 1177), le musicien s'engage pleinement dans l'écriture pour la scène, ce qui le mènera par la suite à l'opéra.
Au curieux carrefour des arts, des siècles et des techniques, rendez-vous est donné par l'Ensemble 2e2m et son directeur Pierre Roullier, disposés autour de la scène et se déplaçant parfois en travers pour évoluer autant en oiseaux humains qu’en instrumentistes (aux saxophone, cor, flûte, harpe, contrebasse, bruitages, piano et clavier). Ce sont les généreux instigateurs de la renaissance de La conférence des oiseaux mais aussi, de fait, les auteurs principaux de cet original acte artistique, et par leur jeu aussi musical que théâtral et la fidélité aux bandes électroacoustiques de l'époque, désormais numérisées (incluant l'enregistrement de cris d'oiseaux mais aussi les voix humaines).
Dans le foisonnement d'une musique synthétisée, en bonne partie, au beau milieu des années quatre-vingt (et de bon retour sans ce méchant coup de vieux, franchi le mur de la quarantaine), le spectacle trouve aisément sa place aujourd'hui parmi les arts de la scène en tant qu'intéressante performance audio-visuelle, à la fois fascinante et étrange, expérimentale plutôt que lyrique, telle un ovni filant au loin, et poétique grâce à la scénographie de Lilo Baur, subtile comme un coloriage par touches. Depuis les curieux frottements de gong initiaux, en passant par une lente métamorphose sonore, et jusqu'à un certain chaos industriel, marqué par des effets de soufflerie, de flux ou de reflux acoustique, le tout s'apparente à un long voyage aérien guidé par un personnage extraordinaire, prêtresse aviaire et conteuse fantastique, incarnée par le soprano Raquel Camarinha au chant aussi joueur que clair. Il s'agit d'une huppe, qui appelle et mène tous les oiseaux en quête du mystérieux et tout-puissant Symorg.
Mais à force de réduire et d'interpréter librement le texte original, voici une tout autre histoire, confuse et brouillonne, qui n'en conserve à peu près que le titre et la puissante conclusion, sans rien ou presque de l'allégorie du pèlerinage, la profondeur du propos, la force d'un imaginaire singulier, la structure hypnotique et lumineuse en forme de boucle... En dépit des valeureuses prestations des comédiens Hervé Pierre et Lucas Hérault, le sujet original, fabuleux, semble perdu et manquée la rencontre culturelle avec ce trésor littéraire.
FC