Chroniques

par laurent bergnach

La conférence des oiseaux
opéra de Michaël Levinas (version de concert)

L'Itinéraire de Nuit II / Cité Internationale Universitaire, Paris
- 1er avril 2006

Pour rompre avec les conventions et les usages du concert classique, pour explorer les nouveaux territoires du son et sa mise en perspective musicale, l’ensemble L’Itinéraire a inauguré l’an passé son festival L’Itinéraire de Nuit. Cette année, de 19h à l’aube et dans trois lieux de la Cité International Universitaire, il propose un panel musical – acousmatique, électro’, techno – auquel s’associent la vidéo, les excursions sonores d’instruments improbables comme cet orchestre d’haut-parleurs ou ces verres enharmoniques. C’est pourtant un court morceau acoustique qui sert de préambule à La conférence des oiseaux, jouée à 21h : une pièce pour piano, Sur le nom de Claude, de et par Michaël Lévinas. L’hommage s’adresse à Claude Picard – documentaliste à l’INA, conseiller à Radio France – disparu il y a peu, en qui Jean-Loup Graton salue « un guetteur génial, un arpenteur brillant », Betsy Jolas « une véritable encyclopédie » et Georges Zeisel « une intelligence éclairée ».

Si Levinas a été l’élève d’Olivier Messiaen, les oiseaux de sa Conférence porte plutôt la griffe d’autres influences, comme celles de Ligeti et Stockhausen dont il suivit les cours à Darmstadt. Dans cette œuvre inspirée d’un conte persan de Farid al-Din Attâr, créée par L’Itinéraire en 1985, l’espace et la technologie servent de révélateurs du monde instrumental au compositeur, qui explique : « comme dans toutes mes pièces antérieures, j’ai utilisé l’amplification, l’électronique et la spatialisation pour aller chercher les dimensions cachées de ce que j’ai appelé l’essence de l’instrumental. Il y aurait un lien originaire entre l’instrumental et le vocal ». Conçue pour treize interprètes dont un mezzo, un récitant et un comédien, l’œuvre n’appartient pas cependant au genre du théâtre musical mais bien, par sa préoccupation du temps narratif et de la structure, à l’opéra – ouvrant le chemin à Go-gol (1996) et aux Nègres (2004).

Conscient des possibilités réduites de mise en scène d’un tel opéra de chambre, Michaël Lévinas se dit satisfait de la version de concert envisagée ce soir, l’important étant de respecter l’opposition spatiale des personnages. Tandis que Mark Forster dirige derrière ces derniers, à l’avant-scène, sur son podium, Julie Robard-Gendre reprend les harangues de la huppe, créées autrefois par Martine Viard. Sa voix souple et corsée, les cris et sifflements concourent à lui donner une présence souvent terrible. Le rôle des autres oiseaux a été confié au contreténor Fabrice di Falco ; sa voix androgyne, troublante, apporte une fragilité à cette procession de plumes en route vers le mystérieux Symorg. D’autant que l’issue de cette croisade semble fatale : comme nous l’apprend Didier Sandre qui ne quitte sa calme neutralité que pour incarner un Chambellan exaspéré, « la voie reste ouverte mais il n’y a plus ni guide, ni voyageurs ».

Si l’histoire n’est pas toujours facile à suivre pour qui la découvre – de plus, la musique couvre parfois les voix –, l’œuvre reste fascinante, surtout jouée dans les conditions d’écoute souhaitées par son créateur.

LB