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Chroniques
La damnation de Faust
légende dramatique d’Hector Berlioz
Après Longborough, Garsington et Grange Park, poursuivons la tournée des festivals lyriques anglais à Glyndebourne où notre séjour commence avec une mise en scène de la légende dramatique écrite au mitan du XIXe siècle, d’après le monument goethéen. 2019 fêtant le cent cinquantième anniversaire de la disparition d’Hector Berlioz, c’est avec La damnation de Faust que la prestigieuse institution britannique marque le coup. C’est forcément plein d’interrogations que l’on vient voir la nouvelle production d’une œuvre initialement conçue pour le concert. Qu’en fera donc Richard Jones, dont nos pages saluent régulièrement le travail souvent réussi [lire nos chroniques de Lohengrin, Anna Nicole, L’enfant et les sortilèges, Ariodante, Die Meistersinger von Nürnberg, Der Rosenkavalier, Boris Godounov à Londres et à Berlin, La bohème et Parsifal] ? Gageons que sa damnation ne ressemblera guère à celle, très sophistiquée, de Robert Lepage, pas plus à l’envolée cinématographique de Terry Gilliam et moins encore aux élucubrations de notre pauvre Marie-Ève Signeyrole nationale [lire notre chronique du 2 juin 2004, du 4 juin 2017 et du 16 février 2019] !
Dans le décor nu et réduit à l’essentiel d’Hyemi Shin, Jones transporte le drame dans une académie militaire dont on peut suivre la formation de cadets dans des salles de classes. Les costumes réalisés par Nicky Gillibrand brassent une idée imprécise du XIX siècle, ce qui ajoute à l’impression d’intemporalité et d’universalité du spectacle. La dramaturge Agathe Mélinand a écrit un texte additionnel que Méphistophélès dit au début des tableaux ou pendant les intermèdes orchestraux. Le chœur regarde d’en haut l’action jouée en bas. D’étranges créatures qui semblent arrivées d’un carnaval funèbre ouvrent la représentation et reviendront de temps à autre pendant son déroulement, comme des fantômes. Sans passion, Méphistophélès – ce soir, le maître de l’ombre est le personnage principal – expose les raisons de sa destruction du vieux savant, déclin dont on observe l’évolution à la caserne, à la librairie, dans la masure où Marguerite et sa mère vivent, au bordel et ainsi de suite. La lumière très étudiée d’Andreas Fuchs sème toujours le doute sur une scène où étudiants et soldats fréquentent des démons ailés. Sarah Fahie signe une chorégraphie qui s’intègre sans confrontation dans la leçon du professeur Faust aux jeunes recrues.
Ce Méphistophélès omniprésent est joué par Christopher Purves pour lequel la langue française n’a pas de secret. La teinte agressive de son baryton convient parfaitement au démon dont le cruauté voyage dans la nuance, entre l’impératif sonore et la ligne caressante de la tentation. Le timbre charmeur et le legato très doux du baryton Ashley Riches campent un excellent Brander à la taverne d’Auerbach, individu pas si blanc et gentil que cela. Le mezzo-soprano québécois Julie Boulianne, dont le français laisse vraiment à désirer, donne une Marguerite assez falote. Avec sa voix claire et une intonation dûment contrôlée, Allan Clayton, dont j’avais adoré l’Hamlet il y a deux, sur cette scène [lire notre chronique du 30 juin 2017], se montre un Faust convainquant qui suscite l’enthousiasme au moment des saluts !
Aux jeunes voix du Glyndebourne Youth Opera (GYO) sont associées celles du Trinity Choir et des petits gosiers du Glyndebourne Chorus dans une prestation des plus fidèles à la partition. Ils forment aussi une présence inquiétante dans le spectacle. À la tête du London Philharmonic Orchestra, Robin Ticciati est amené à se déclarer bientôt fan de Berlioz : il soumet son interprétation inspirée à toute les contingences stylistiques de l’œuvre [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, d’Aeolus–Re-turning III et de la Sixième de Bruckner]. L’élément musical fonctionne main dans la main avec le théâtre si particulier de Richard Jones.
HK