Chroniques

par bertrand bolognesi

La fanciulla del West | La fille du Far West
opéra de Giacomo Puccini

Opéra Royal de Wallonie, Liège
- 26 février 2013
La fanciulla del West de Puccini à l'Opéra Royal de Wallonie (Liège)
© jacques croisier

Des opéras de Puccini, celui-ci n’est assurément pas des plus connus. Aussi est-ce presque une « curiosité » qu’aujourd’hui l’on vient voir à l’Opéra royal de Wallonie. Qui peut en effet dire qu’il connaît l’ouvrage pour l’avoir souvent vu sur la scène ? Pour notre part, si le disque ne nous en avait certes pas laissés innocents, nous ne l’abordions de visu qu’en 2004 grâce à une vidéo (assez peu probante, pour tout dire) de La Scala (1991) [lire notre critique du DVD]. Vinrent ensuite deux autres captations, Torre del Lago (2005, disponible en 2010) et Amsterdam (2009, disponible en 2010), mais pas encore de production qui nous en aurait offert une approche « réelle » [lire les critiques de ces DVD Arthaus et Opus Arte].

Souvent, le retour sur les planches d’un ouvrage délaissé n’arrive pas seul. Ainsi l’Opéra de Monte-Carlo présentait-il en novembre dernier une reprise de la production que Giancarlo del Monaco signait en 1991 au Met – là-même où fut créé l’opéra, en 1910. Encore la future saison parisienne annonce-t-elle une nouvelle Fanciulla del West à Bastille (février 2014 ; c’est en fait la reprise de la production amstellodamoise citée plus haut). Un an plus tôt, s’associant le Teatro Massimo de Palerme et le San Francisco Opera, la dynamique maison liégeoise – qui présentait le rare Stradella de Franck et L’officier de fortune de Grétry (l’enfant du pays) cet automne et montera – affiche pour six représentations (jusqu’au 5 mars) sa Fanciulla, dans une mise en scène du New Yorkais Lorenzo Mariani, actuel directeur artistique de l’institution sicilienne.

Durant le bref prélude à valeur de « générique », lumière est faite sur une imposante façade rocheuse que des silhouettes travaillent : nous voici d’emblée dans un camp de chercheurs d’or. Si l’opéra puccinien crée volontiers l’impression d’être au cinéma – au temps du film muet, Puccini inventerait un cinéma chantant –, l’imprégnation particulière de celui-ci dans le Grand Ouest nord-américain contribue plus certainement encore à ce sentiment. À la tête de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, Gianluigi Gelmetti dessine un chemin grandement expressif dans la spectaculaire opulence d’une partition qui, malgré son écriture rythmique lorgnant de-ci de-là vers le blues, rejoint assez naturellement ses consœurs plus fameuses nées de la même plume. Le recours à une échelle pentatonique finit de trahit un compositeur pour lequel cet usage semble avoir été la carte de visite de l’exotisme, que l’action se situe dans les California Montains, en Chine ou au Japon. Outre l’évidence de la signature musicale, par-delà la modernité du battement d’usine à feu qui soutient la cruciale partie de poker du deuxième acte, nous retrouvons dans l’intrigue des thèmes chers à Puccini. Il suffira de dire qu’à celui qu’il frappe l’amour fait faire le contraire de ce qu’il fait depuis toujours : le bandit Ramerrez renonce au vol pour lequel il est pourtant venu là, le shérif Rance se compromet dans un curieux marché (de fait, sa caresse à la corde fatale préparée pour un autre, dans cette mise en scène, est plutôt juste), enfin la pure et droite Minnie triche aux cartes. Quant aux figures, elles sont bien celles de l’univers du musicien, de la vierge craintive (Turandot) au puissant concupiscent (Scarpia).

Avec la complicité de Gabriel Berry pour les costumes, de Maurizio Balò pour les décors et sous les lumières de Christian Pinaud, Lorenzo Mariani signe une mise en scène de facture plutôt traditionnelle qui oscille entre représentation naturaliste et stylisation symbolique. Aussi le premier acte est-il désavantagé par un plateau vite encombré, avec son grand escalier et le bar qui lui fait front. Fort heureusement, la direction d’acteurs est bien présente et les chanteurs s’investissent. Avec l’ouverture de la paroi en fin d’Acte I s’amorce une salutaire tentative de prise de distance un réalisme qui menaçait de redondance. Au II, le petit intérieur de Minnie se pose dans l’immensité, tandis que le III s’affranchira pleinement d’une trop pesante littéralité.

Il serait fastidieux de décrire chacune des quelques dix-neuf voix solistes que convoque La fanciulla del West. Dans l’ensemble, elles satisfont. L’écoute en retiendra quelques-unes, de par l’importance de leurs interventions ou la qualité des prestations. Ainsi du Billy évident de Chris De Moor, du Sonora généreusement projeté de Roger Joakim, du timbre tendre d’Alexise Yerna en Wowkle, de la solide assise de Luciano Montanaro en Ashby. Le ténor impacté de Willem van der Heyden, avec ses harmoniques graves bien portées, favorise un Nick de belle tenue.

Le trio de tête est américain. Le ténor virginien Carl Tanner campe un Ramerrez bien accroché, d’abord un rien brutal dans les premières phrases, mais bientôt souple à souhait (superbe « Non piangete… » du I). Il se révèle ensuite des plus vaillants, dans le duo du II. Remarquablement impacté, la couleur reconnaissable entre mille du baryton mexicain Carlos Almaguer incarne idéalement Rance. Le personnage est posé immédiatement par une émission robuste, suprêmement stable, évoluant dans la machination amoureuse, perfide, non loin de ce Scarpia de terreur qu’on applaudissait à Montpellier [lire notre chronique du 3 mars 2005]. Enfin, après un premier acte prudent, le soprano dramatique illinois Deborah Voigt homogénéise son chant à l’Acte II, rassemblant ses grands moyens au service du rôle-titre.

BB