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Chroniques
La fanciulla del West | La fille du Far West
opéra de Giacomo Puccini
Oui, bien sûr, Nina Stemme est à l'affiche de cette Fanciulla. Pour sa deuxième apparition à Bastille, d'aucuns ne manqueront pas de pointer qu'elle n'aura toujours pas offert à Paris une Brünnhilde ou une Isolde. Les spectateurs de la Salle Pleyel et du Théâtre des Champs-Élysées [lire nos chroniques du 13 octobre et du 24 avril 2012] devront se contenter de leurs souvenirs et accepter que le soprano suédois ait préféré troquer le casque ailé contre un stetson. L'image n'est pas anecdotique, tant il est difficile de se défaire de cette dimension que porte en elle cette voix magnifique. Le goût pour le vérisme n'étant pas préjudiciable en soi, on peut seulement objecter la relative minceur dramatique de l'ouvrage lyrique qui lui sert d'écrin.
La mise en scène de Nikolaus Lehnhoff ne sauve pas cette Fanciulla del West de son improbable cortège de dollars et de catholicisme à la sauce western. Il est en revanche vraiment choquant d'entendre une fois de plus les huées d'un public incapable de saisir le travail et les options qui lui sont donnés à voir. La production n'est pas une nouveauté, elle vient de l'Opéra d'Amsterdam et a fait l'objet d'une captation vidéo avec Eva-Maria Westbroek dans le rôle-titre [lire notre critique du DVD]. Cette scénographie doit beaucoup aux références cinématographiques qui ont fait d'Hollywood l'arrière-fond légendaire de l'Histoire des pionniers américains. À bien considérer les gestes mécaniques des joueurs de poker et la façon de souligner le moindre déplacement dans les scènes de groupe du premier acte, on décèlera sans peine des techniques liées au cinéma muet – techniques auxquelles Lehnhoff ajoute des projections iconiques de l'Amérique de la conquête de l'Ouest à la crise de 1929. Minnie joue aussi bien du colt que de la Bible, auprès de sa cour de cow-boys énamourés. Le décor de ce Saloon Polka fait davantage penser à Blade Runner [Ridley Scott, 1982 – ndr] qu'à la Monument Valley façon John Ford, mais qu'importe ? On remarque d'emblée des détails récurrents qui ne manqueront pas de faire sens par la suite (le coffre-fort au centre de la scène, le crochet au bout de la corde, etc.), mais l'impression générale dégage une volonté d'américaniser aux confins du caricatural le carton-pâte (pas une frange ne manque au gilet de ce Jack Wallace, en Elvis enfariné).
Quand le rideau se lève sur le deuxième acte, on fait escale chez Walt Disney et les comédies de Billy Wilder. La cabane de Minnie est l'une de ces caravanes rutilantes qui faisait le bonheur de la middle-class, avec un intérieur rose-fuchsia qui, pour le coup, jette un doute sur la moralité de la propriétaire de l'alcôve, malgré la vierge électrique au-dessus du poste de télévision. Lorsque Dick Johnson (alias Ramerrez) vient se jeter dans ses bras, les yeux des deux Bambi géants postés à l'extérieur s'allument de plaisir… Heureusement, il n'y a jamais loin du Psaume de la Rédemption à l'opprobre public et l'arrestation de Dick au III menacera la bluette de tomber définitivement dans le drame. Le décor fait référence à la scène finale du film d'Arthur Penn, The Chase (1966) – dont le titre français, La poursuite impitoyable, flirte dangereusement avec celui d'un chef d'œuvre du Western, La poursuite Infernale de John Ford [My darling Clementine, 1946 – ndr], autre référence de cette mise en scène. Parmi l'amoncellement des carcasses de voitures, les hommes de Jack Rance se glissent tels des rats dans une décharge. La pendaison de Dick est interrompue par un burlesque et quasi indicible Deus ex machina : Minnie descendant en meneuse de revue un escalier de néons fluo, tandis que rugit en fond le lion de la MGM. De tous côtés déborde le second degré, jusqu'à la dernière image d'un dollar géant et sa fameuse devise prémonitoire et ambiguë : In God We Trust. Évidemment, le public trépigne et noie sous les huées cette tentative humoristique sans laquelle, il faut bien l'avouer, la conclusion du livret aurait bien du mal à passer.
L'examen du plateau vocal contraint à parler en priorité de Nina Stemme. Difficile de dire si elle sauve une production qui l'imposait en tête d'affiche. La faute revient en partie à un rôle qui la sollicite a contrario des emplois où elle excelle. Nous ne sommes pas dans les flux de la mélodie infinie d'Isolde ou les aspérités hystériques d'Elektra. Quelques aigus se fraient un passage dans un chevauchement musical assez anecdotique. Comme nulle autre, Stemme sait darder ces traits de lumière, mais au fond, cela permet-il d'apprécier la voix à sa juste valeur ? Une autre à la carrière moins prestigieuse mais avec autant de métier (et peut-être aussi davantage de présence scénique) aurait mené le rôle tout aussi bien qu'elle.
Marco Berti (Dick Johnson) a des aigus volumétriquement parfaits mais pauvres en couleurs et en densité. L'engagement est problématique et les intonations trop précautionneuses pour faire oublier un rôle relativement improbable. Le Jack Rance de Claudio Sgura ne décolle pas vraiment d'une honnête interprétation ; une certaine raucité dans le registre médian limite la projection et le charisme d'un personnage naturellement assez dur et agressif. Parmi les rôles secondaires, on notera le Nick de Roman Sadnik et le Jack Wallace très suave d'Alexandre Duhamel. Dans la fosse, la battue besogneuse de Carlo Rizzi fait ce qu'elle peut pour assurer un service minimum là où davantage de relief aurait permis de mettre en valeur une partition souvent en trompe-l'œil.
DV