Recherche
Chroniques
La favorite
opéra de Gaetano Donizetti
Après un succès fulgurant (plus de sept-cent représentations au XIXe siècle), le kitsch moraliste et sulpicien de La favorite de Donizetti fit sombrer l'ouvrage dans un quasi-oubli, dès 1918. Les raisons profondes de cet abandon salutaire auraient dû interpeller les auteurs de son retour sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées. On peut en effet facilement comprendre pourquoi le public de 1840, pétri de lectures et de drames romantiques, put faire un triomphe à cette ferblanterie espagnole aux faux airs d'Hugo et de Chateaubriand. Que nous dit aujourd'hui ce renoncement à ses vœux d'un novice quittant le monastère pour les bras d'une femme dont la morale est elle-même compromise par son statut de « favorite » du roi Alphonse de Castille ? Décoré à la suite de sa victoire contre les Maures, Fernand (c'est son prénom) sera ensuite humilié en réalisant que sa promise n'est autre que la maîtresse du roi. La scène finale faire durer plus que de mesure une agonie dont on saisit mal les causes et laisse l’ex-capitaine d'armée et néo-novice (à moins que ce ne soit l'inverse) éploré avec sa bien-aimée dans et sur les bras.
Un destin plus funeste encore que celui qui conduisit à choisir le laborieux livret français d'Alphonse Royer et Gustave Vaëz souffle également sur la distribution. Sophie Koch et Celso Albelo ayant déclaré forfait, il fallut trouver un autre couple Léonore-Fernand. Le choix du ténor belge Marc Laho constitue une alternative intéressante. La voix se plie assez facilement aux aigus exigeants des cabalettes et autres moments de bravoure dont fourmille la partition. La diction est remarquable et la projection très stable malgré la sollicitation des registres antagonistes, parfois impossible et rédhibitoire. Face à lui, la Léonore d'Alice Coote fait bonne figure mais accuse ce soir des éraillements imputables à une grippe envahissante. La ligne se rompt en de multiples endroits, laissant à nue une couleur assez inconsistante. L'autre heureuse surprise vient de l'Alphonse XI incarné par Ludovic Tézier, avec des moyens techniques largement supérieurs au reste du plateau et – il faut l'avouer – bien servi par l'un rôle des rares rôles crédibles de l'ouvrage. Carlo Colombara (Balthazar) s'escrime toute la soirée à courir après une prosodie française qui lui échappe, tandis que le jeune Loïc Félix campe un Don Gaspar plus chien fou que véritablement méchant. Judith Gauthier tire avantageusement son épingle de la pelote belcantiste, mais son rôle est décidément trop court pour faire apprécier sa prestation à l'aune des autres protagonistes.
Malgré l'incongruité du livret français, le spectacle aurait fort bien pu atteindre une vitesse de croisière honorable et répondre aux attentes du semiseria de bon ton. C'était sans compter avec la mise en scène très approximative de Valérie Nègre, pourtant habituée à cet exercice aux côtés de Patrice Chéreau. Nous sommes loin du Tristan de la Scala ou de la Phèdre donnée aux Ateliers Berthier. Les déplacements erratiques des personnages sont assez pénibles à voir et tout irait encore moyennement s'il ne s'agissait de demander au chœur des mouvements de bras assez ridicules, ou encore trépignements et sauts de cabri qu’on refuserait dans Ciboulette. Les décors conceptuels d'Andrea Blum ajoutent une touche stylisée et froide à un ensemble assez disparate.
On est peiné pour le travail minutieux de Paolo Arrivabeni à la tête d'un Orchestre National de France qui tient toutes ses promesses et parvient à faire oublier les ennuyeux épanchements qui se déroulent juste au-dessus de lui.
DV