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Chroniques
La favorite
opéra de Gaetano Donizetti
Après Lucia di Lammermoor à Madrid samedi soir [lire notre chronique de la veille], je reste fidèle à Donizetti en assistant aujourd’hui à une représentation de La favorite. Oui, vous avez bien lu : c’est la version originale française de 1840 que joue le Gran Teatre del Liceu qu’il faut féliciter pour cela. Il ne s’agit pas d’une nouvelle production mais d’un spectacle déjà programmé il y a plus de quinze ans, cette fois réglé par Derek Gimpel à partir de la mise en scène d’Ariel García-Valdés, vue également à Montpellier dans la mouture italienne de 1842 [lire notre chronique du 13 juin 2008]. Dans la salle, mon voisin me signale que cette Favorite n’avait alors pas eu de succès. Il faut avouer que les décors de carton-pâte de Jean-Pierre Vergier n’ont pas de quoi évoquer les différents lieux de l’action. Avec des costumes plutôt colorés qui retiennent positivement la vue, le scénographe tente d’habiter ces espaces, mais c’est insuffisant. D’un livret mal fagoté (il faut l’avouer), Gimpel ne fait pas grand-chose, ce en quoi il est bien pardonnable, d’ailleurs, même si d’autres artistes s’y sont illustrés davantage [lire nos chroniques des interprétations d’Amélie Niermeyer et de Valérie Nègre].
Il est vraisemblable que la viabilité d’un argument n’ait pas été le principal souci de Donizetti comme du public. Si le mélomane s’attacha aux histoires racontées, à des destins montrés par la scène, c’est avant tout la voix qui intéressait les deux premiers tiers du XIXe siècle. Alors ne nous attardons pas sur la production et parlons voix, c’est sans doute ce qu’il y a de mieux à faire ! Surtout quand on a la chance d’entendre Clémentine Margaine chanter Léonore de Guzmán. Quelle puissance ! Grâce à un sens très stylé de la nuance, son air Quand j'ai quitté le château de mon père procure une grande émotion [lire nos chroniques du 6 avril 2018 et du 16 décembre 2017]. Avec le génial Michael Spyres en Fernand, on est gâté ! La ligne vocale est d’une pureté qui continue de surprendre, la lumière de l’aigu est une merveille, sans oublier une diction du français évidente. Et quelle agilité dans les ornements ! Ange si pur est acclamé [lire nos chroniques des 4 mai et 11 mars 2018, ainsi que des 15 septembre, 17 avril et 2 février 2017]. On retrouve aussi le très bon Markus Werba [lire nos chroniques du 16 août 2014 et du 10 octobre 2009] : le baryton campe un Alphonse XI très élégant, malgré une diction perfectible. La robuste basse croate Ante Jerkunica signe une incarnation superlative de Balthazar. La profondeur de cette voix est un vrai bonheur [lire nos chroniques de La bohème, Boris Godounov, Die Zauberflöte, Les Huguenots et Das Liebesverbot]. On remarque le timbre intéressant de Miren Urbieta-Vega (Inès) et l’efficacité du ténor Roger Padullés (Gaspar).
Si l’on félicite chaleureusement les choristes catalans et Conxita Garcia, leur cheffe très musicienne, la proposition de Patrick Summers n’est pas convaincante. D’une part, les instrumentistes de l'Orquesta Sinfónica del Gran Teatre del Liceu ne semblent pas tous de même niveau, ce qui ne favorise pas un bon rendu des passages solistes de La favorite. D’autre part, le chef nord-américain paraît hésiter entre l’emportement lyrique qui caractérise certains airs et le relatif statisme du bel canto où l’orchestre doit donner l’impression de s’immobiliser pour mieux laisser les voix roucouler. Il a toutefois le mérite de jouer toute la partition, et on lui en sait gré ! Par contre, pourquoi donner le ballet en guise de pont entre les actes mais sans le chorégraphier ? C’est bien de pouvoir l’entendre mais bizarre que ce soit rideau baissé.
KO