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Chroniques
La favorite
opéra de Gaetano Donizetti
Le Festival Donizetti Opera a choisi de monter La favorite dans sa version originale française créée à Paris à l’Académie royale de musique en 1840. La manifestation avait déjà proposé, dans ce même Teatro Donizetti, L’ange de Nisida lors d’une précédente édition, opéra destiné à l’origine au Théâtre de la Renaissance, également parisien [lire nos chroniques du 21 novembre 2019 et du 18 juillet 2018]. À l’époque, ce projet fut abandonné à la suite de la faillite du théâtre, le compositeur réutilisant heureusement de nombreux passages pour La favorite. Force est de confirmer, à l’issue de cette belle représentation et de trois heures de musique, le rang de chef-d’œuvre théâtral et musical de cet opéra en quatre actes, lorsqu’il est donné, sans coupures, dans sa langue originale, et que le défendent des artistes de valeur.
Collaboratrice du collectif catalan La Fura dels Baus, Valentina Carrasco nous a habitué à des réalisations visuelles plus décalées, voire décapantes dans certains cas [lire nos chroniques de The turn of the screw, Aida et Simon Boccanegra].Celle-ci est sobre et lisible, sans second degré et presque trop sage... mais qui s’en plaindrait-il ? Le dispositif scénique, à la charge de Carles Berga et Peter van Praet, relève en particulier d’une simplicité et d’une efficacité rares. La première scène du monastère de Saint-Jacques-de-Compostelle est évoquée par des tombes disposées en étages, éclairées par des cierges et formant une pyramide que domine une statue de la Vierge. Mais lorsque pivotent ces tombes, on réalise qu’il s’agit en fait de matelas de lits, dont certains superposés en mezzanine, des voilages blancs ou noirs recouvrant ces éléments selon les tableaux.
À l’Acte II, le palais de l’Alcazar à Séville est illustré par des silhouettes de palmiers en fond de plateau, tandis qu’au III, une sorte de haut catafalque noir surmonté d’une croix dorée recouvre un lit où viendront s’allonger Léonor et Fernand après le mariage prononcé. Ce sont des voiles noirs qui enveloppent les lits pour l’acte conclusif, l’axe central ménageant un accès vers la chapelle. L’option retenue pour les ballets du deuxième acte provoque, à l’issue d’une séquence d’une vingtaine de minutes, quelques réactions hostiles : en effet, aucun danseur n’est à l’affiche, mais l’animation chorégraphique est confiée à une trentaine de femmes, choisies par les services sociaux de la ville de Bergame (Assessorato alle Politiche Sociali di Bergamo e il coordinamento dei Centri per Tutte le Età di Bergamo). Ces femmes, qui endossent les habits des favorites du roi comme dans un harem, se lèvent et chahutent en pliant les draps, puis se pomponnent, se coiffent. Les préparatifs sont un peu longs avant qu’elles enfilent un tutu et se mettent à danser, faisant aussi danser Léonor puis se jetant sur le roi Alphonse. Celui-ci ressort de la mêlée le visage barbouillé de rouge à lèvres, dans une sorte de revanche des femmes consommées puis abandonnées.
La distribution vocale est digne des plus grandes scènes.
Pour le rôle-titre de Léonor de Guzman, Annalisa Stroppa possède un riche timbre de mezzo, dont on apprécie la justesse d’intonation. Ses aigus suffisamment volumineux contrastent fortement avec un registre grave trop discret. La qualité du français est insuffisante, même si l’on reconnaît que l’actrice prouve un bel engagement et fait passer l’émotion, par exemple au cours de son grand air du III O mon Fernand ! [lire nos chroniques d’I puritani, Nabucco, Norma, Madama Butterfly et La forza del destino].
Le ténor Javier Camarena impressionne en Fernand par une remarquable diction, l’ampleur de ses moyens, qui culminent vers un aigu concentré, et une insolente projection. Son style legato est un régal, tout comme l’articulation du texte et sa science des nuances forte-piano, le chanteur proposant par ailleurs des variations inspirées pour les reprises au cours de ses airs. Ange si pur, au dernier acte, est un grand moment, en intensité comme en niveau de chant [lire nos chroniques de La Cenerentola, La sonnambula, Lucia di Lammermoor et L’elisir d’amore]. Déjà présent dans L’ange de Nisida (et dans L’elisir), le baryton Florian Sempey impose un Alphonse XI de grande ampleur, faisant le plus souvent valoir une autorité glaçante dans ses interventions. Léonor, viens, son air du deuxième acte, est déroulé élégamment sur un long souffle et la cabalette qui s’ensuit est pleine d’enthousiasme. Dommage qu’il chante ce long passage derrière deux grilles fermées en avant-scène [lire nos chroniques du Mage, de Madame Sans-Gêne, Maria Stuarda, Don Pasquale, Les Huguenots et Les Indes galantes, ainsi que du Barbiere di Siviglia à Paris et à Toulouse]. Quatrième rôle par ordre d’importance, la basse Evgueni Stavinsky possède le grave profond qui caractérise Balthazar, le père supérieur. La voix est volumineuse et noble sur toute son étendue, mais la prononciation ne se hisse pas vraiment au niveau [lire notre chronique d’Otello]. L’affiche est complétée par les valeureuses interventions du ténor Edoardo Milletti en Don Gaspar [lire nos chronique d’Armida et de Lucrezia Borgia] et du soprano Caterina Di Tonno en Inès [lire nos chroniques de La grotta di Trofonio et de Medea in Corinto], alors que les artistes des Coro Donizetti Opera et Coro dell’Accademia Teatro alla Scala sont bien chantants quoique pas toujours facilement compréhensibles, la partie féminine montrant un supplément de cohésion.
Directeur musical du festival, Riccardo Frizza dose au mieux le volume de l’Orchestra Donizetti Opera, alternant entre le brillant de la partition, dès l’Ouverture où les cuivres se lâchent, et les moments d’intimité pour lesquels il se montre très attentif aux chanteurs, demandant parfois un piano subito à ses musiciens. Le relief dramatique de cette page majeure du Donizetti serio n’en apparaît dès lors qu’avec plus d’éclat.
IF