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Le Festival de Sablé cultive sa différence en favorisant l’altérité par son académie qui accueille une centaine de stagiaires venant des quatre coins du monde, mais également en programmant des spectacles et des concerts qui invitent à une véritable découverte de tous ces mondes étranges et lointains où chacun de nous est l’autre, conviant ainsi à mieux partager les différences.

Lors du second concert du vendredi après-midi – faisant suite au récital ramiste du trio Procopio, Guigues et Lazarevitch [lire notre chronique] –, les festivaliers suivent d’autres chemins, plus anciens, plus immémoriaux. Jean Tubéry et sa Fenice [photo] proposent de rejoindre Compostelle. Le programme est celui du disque édité il y a quelques mois, avec la complicité d’Ariana Savall pour le chant. Mais aujourd’hui, cette flamme qui nous guide loin des repères quotidiens, vers un ailleurs spirituel, à l’humanité si troublante, est la voix de Claire Lefilliâtre. Au rythme de la marche, Jean Tubéry, commentant chaque étape, fait de nous les pèlerins de l’inconnu. En ce XVIIe siècle, où guerres, pestes et famines rendent la vie si fragile, des hommes et des femmes choisissaient de partir tout là-bas, vers des horizons lointains, tentant de rejoindre ce haut lieu mythique de la lointaine Galicie, dans le nord-est de l’Espagne. La musique a du les accompagner durant les longues étapes à les y mener. Elle fut la langue commune des pèlerins, favorisant non seulement le dialogue, mais ouvrant la marche, offrant sérénité, joie et confiance à tous.

Le concert superbe donné par les musiciens de La Fenice et Claire Lefilliâtre restera longtemps dans les mémoires. L’émotion à fleur de peau, faisant vivre au rythme d’un autre quotidien, ils permirent de s’évader et de déceler toute la richesse d’un répertoire qui mélange traditions populaire et savante.

Véritables hommes-orchestres, les musiciens font goûter tous les sentiments de ces chants des routes. Ils sont passeurs de joie, comme dans ce chant de Noël de langue d’oc, De cor, de boux celebrats, cantats toutis !, repris en bis. Claire Lefilliâtre trouve les couleurs les plus pertinentes pour chaque pièce interprétée. De la pétillante jeune femme dans Espagnol je t’en supplie, rouée et séduisante, elle redonne sens à la mélancolie baroque si déchirante dans N’espérez plus mes yeux. Elle fait résonner par « l’art du bien chanter » cette quête d’harmonie qui conduisait, qui conduit encore vers ces ailleurs.

C’est encore plus loin, vers l’infini des Nouveaux Mondes, pour terminer ce vendredi si riche en émotions, que conduit Jordi Savall, entouré des chanteurs de la Capella Reial de Catalunya, des musiciens d’Hespèrion XXI et des musiciens, chanteurs et danseurs de la Tembembe Ensamble Continuo.

Fidèle à ses choix artistiques et humanistes, le maestro catalan a créé et enregistré en 2009 le programme El nuevo mondo/Folias Criollas, y retrouvant les thèmes, les rythmes et les mélodies qui nourrirent la musique baroque d’Occident. La danse y est la clé et le langage commun. Le métissage culturel d’une rive à l’autre y libère les énergies. Véritable creuset d’expérimentation, les continents s’y rencontrent pour le meilleur comme pour le pire. Ce métissage s’y montre d’une richesse foisonnante. Mélange « de rigueur et de fantaisie musicale » où les interprètes s’en donnent à cœur joie, prouvant que la musique possède le pouvoir de provoquer beauté, générosité, émotion en chacun de nous. La relation nouée entre le chef et ses musiciens espagnols et mexicains, leur complicité riante et vivifiante font de ce concert un événement unique. Au rythme survolté des guitares d’un exotisme sensuel, des instruments de ces mondes étranges et fascinants et des voix expressives, rauques et envoutantes, la chaconne nous ensorcelle. Si le bonheur existe, la musique que défend Jordi Savall y est peut-être pour quelque chose.

MP