Chroniques

par bertrand bolognesi

La Fenice et le Chœur de Chambre de Namur
triomphe de Gabrieli

Festival en Île-de-France / Église du Val de Grâce, Paris
- 13 septembre 2003
Église du Val-de-Grâce (Paris), photographiée par Bertrand Bolognesi (2003)
© bertrand bolognesi

Il n’est pas si fréquent de pouvoir entendre les Symphonies sacrées du Vénitien Giovanni Gabrieli. Le concert proposé par le Festival d’Île de France en l’Église du Val de Grâce [photo] fait redécouvrir son travail. Rappelons que Gabrieli fut organiste à San Marco, qu’il séjourna, comme son oncle auparavant, à la Cour de Bavière où il suivit les enseignements d’Orlando di Lasso, avant de devenir à son tour un pédagogue recherché par toute l’Europe musicale, dont le dernier élève fut Heinrich Schütz. Son écriture vocale s’est caractérisée par une radicale instrumentalisation des voix. Il n’hésita pas à diviser les chœurs par deux, trois, quatre, six, huit et plus, enrichissant d’autant les possibilités polyphoniques de son matériau. Complexes tant à exécuter qu’à entendre, les parties s’alternent à des passages instrumentaux dans une succession qui forme des contrastes particulièrement dynamiques. Il inventa des ensembles formidablement fastueux qui lui valurent une certaine gloire, jusqu’à sa disparition en 1612. Son œuvre s’inscrit dans la plus aboutie des factures chorales vénitiennes héritées de la Renaissance.

L’ensemble La Feniceet leChœur de Chambre de Namur conjuguent leurs efforts sous la direction experte de Jean Tubéry, rendant un bel hommage au maître. On retrouve à leurs côtés le contreténor Philippe Jaroussky dont une nouvelle fois l’on constate la précision et l’évidence des vocalises et ornements, la clarté du timbre, toujours chaleureux, et l’excellence du chant. Exprimons cependant quelque inquiétude bienveillante à l’égard de cet artiste de plus en plus sollicité – certes pour notre plus grand plaisir – et ce soir dans des parties systématiquement aigues, sans possibilité de se reposer ne serait-ce que quelques minutes dans un registre plus confortable, moins tendu ; la voix est d’une santé admirable, nous n’en doutons pas, semblant de taille à surmonter la virtuosité la plus folle, mais ne risque-t-on pas de la fatiguer au point de limiter peut-être son épanouissement à venir ? Nous aimerions la voir plus parcimonieusement distribuée afin d’être sûr de profiter de ses grandes qualités le plus longtemps possible.

On apprécie également la prestation sensible et joliment menée du baryton Thomas van Essen. En général, les interprétations de ce soir s’avèrent d’une tonicité surprenante, bénéficiant d’effets de spatialisation, en quelque sorte, d’un jeu nuancé, d’échanges et de répons plein d’esprit. Toutefois, la réalisation se trouve malheureusement bien en dessous de l’intention ; pour être plus précis : le rendu trahit sauvagement l’action, cette église n’offrant pas les qualités acoustiques nécessaires à une exécution de ce type. Elle impose de faire le tri, la plupart du temps, et de reconstituer par l’imagination auditive ce que pourrait être l’acoustique idéale pour goûter quelque peu le travail des artistes. Bref : le public doit lui aussi travailler pour tâcher d’y distinguer quelque chose. À brûle pourpoint, aucune idée d’un lieu parisien adéquat, avouons-le, mais manifestement celui-ci demeure grandement insatisfaisant.

BB