Chroniques

par françois cavaillès

La fille de Madame Angot
opéra-comique de Charles Lecocq

Opéra Comique, Paris
- 27 septembre 2023
"La fille de Madame Angot" (Charles Lecocq) à l'Opéra Comique (Paris)...
© jean-louis fernandez

« Surtout que votre pièce sorte des grivoiseries à la mode, qu’elle soit populaire et renferme des rondes et des chansons ! » Suivant le mot d’ordre du directeur des Fantaisies-Parisiennes, Eugène Humbert, aux librettistes pour la création de La fille de Madame Angot (1872), l’Ouverture invite directement à entrer dans une ronde vaste, puis dans une calme valse, avant une conclusion fort guillerette. Libéré comme un charme et avec bel allant par l’Orchestre de Chambre de Paris placé sous la direction d’Hervé Niquet, le fameux opéra-comique de Charles Lecocq perce le bois d’un cercueil clos depuis 1984 pour, après un remarquable disque produit par le Palazzetto Bru Zane il y a deux ans, son retour attendu en capitale, dans la salle toute désignée.

Encore faut-il sortir des sentiers battus une œuvre souvent donnée à travers le monde depuis la création bruxelloise de 1872. Dans une critique de 1893, par exemple, elle fut jugée dépassée par George Bernard Shaw. En vue d’en renouveler l’esprit, les chanteurs prennent une part très importante. Quel soulagement de constater que le rôle-titre, tenu avec gourmandise et espièglerie par le soprano Hélène Guilmette [lire nos chroniques d’Ariane et Barbe-Bleue, Dialogues des carmélites, Les Indes galantes, Les pêcheurs de perles, enfin Orphée et Eurydice], surnage nettement dans un spectacle que rend inégal la mise en scène échafaudée par Richard Brunel [lire nos chroniques de Der Jasager, der Neinsager, In the penal colony, Albert Herring, L’infedeltà delusa, Der Kaiser von Atlantis, Der Kreidekreis, Zylan ne chantera plus, Shirine et On purge bébé] comme un château de cartes (une usine de montage auto). Par une fragile transposition à mai 68 – période de l’histoire du XXe siècle signalée cet été comme propre à susciter la réflexion critique contemporaine [lire notre chronique de La bohème] –, il repose sur l’imagerie des yéyés et sur la lutte sociale concomitante, sans doute trop vite dessinée.

En effaçant le jeu de références historiques original, amusant théâtre de marionnettes avec quelques figures, renseignées ou imaginaires, du Directoire, mais selon une intrigue sans queue ni tête, il reste, pour le plaisir visuel, les costumes de Laurent Castaingt, criards mais bien coupés et d’une harmonie originale, ainsi que les hallucinantes perruques, très soignées – des spécialités appréciées à l’Opéra Comique ces dernières saisons. Aux meilleurs passages s’impose même le coiffeur Pomponnet, faux dindon de la farce, incarné par le ténor Pierre Derhet, à la fois brillant dans l’autodérision, fin et mélodieux [lire nos chroniques de Tosca, Robert le diable, Hamlet et Platée].

Bien inséré dans la trame générale, aux bons soins du compositeur Charles Lecocq, les parties chorales interprétées par le Chœur du Concert Spirituel évolue dans un registre populaire, parfois explosif. Dans les airs, la touche de comédie lyrique posé par l’orchestre peine à prendre forme. Et les chanteurs de cabotiner, loin d’abandonner l’attention portée au lyrisme ! Retenons, par exemple, en duo avec la fille Angot le hardi ténor Julien Behr en Ange Pitou [lire nos chroniques d’Acis and Galatea, Pénélope, Christophe Colomb, Ciboulette, Salome, Alceste, Don Giovanni, Bérénice, Fidelio, The Rake’s Progress, Die Entführung aus dem Serail et Béatrice et Bénédict] et le baryton Matthieu Lécroart, Larivaudière plein de bonne volonté [lire nos chroniques du Médecin malgré lui, d’Angélique, Monsieur de Pourceaugnac, Issé, Phryné et L’amour des trois oranges]. Parmi les seconds rôles, l’audace et le naturel se conjuguent joliment chez le soprano Ludmilla Bouakkaz (Amaranthe).

Pour l’essentiel, les coups de théâtre sont bien sentis, plutôt stimulants les petites chorégraphies et les clins d’œil au cinéma, les finals gratinés de belle facture et d’exécution musclée. Enfin, si les entractes musicaux laissent des impressions diverses, mieux vaut miser sur le soprano fleuri de Véronique Gens, comédienne en réussite, très sollicitée et rayonnante dans le rôle complexe de Mademoiselle Lange. Ainsi le retour du joyeux fantôme donne-t-il le frisson.

FC