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Chroniques
La forêt bleue
opéra féérique de Louis Aubert
Il y a tout juste un an disparaissait Jean-Claude Malgoire, qui avait assisté, affaibli, à la dernière du doublé La voix humaine réglé par Christian Schiaretti [lire notre chronique du 8 avril 2018]. C’est son assistante qui met en scène La forêt bleue de Louis Aubert (1877-1968), pour une production adaptée à tous publics – trois séances scolaires sont prévues dans la série. De manière posthume, le spectacle entretient un lien très particulier avec le fondateur de l’Atelier Lyrique de Tourcoing : ce dernier avait attiré l’attention de la metteure en scène sur ce conte musical en trois actes, créé en 1913 à Genève, qui avait charmé son enfance – et que le XXe siècle a oublié, délaissant les expériences féeriques, traduisant la fascination exercée par la nouveauté de l’électricité sur les scènes, pour d’autres aventures modernistes. Et, à l’évidence, le livret que Jacques Chenevière a tressé à partir de trois contes de Charles Perrault ne manque pas de séduction (Le Petit Chaperon rouge, Le Petit Poucet et La belle au bois dormant).
Loin de chercher à mettre à distance la crédulité enchantée, le texte tresse une habile narration qui se glisse aisément dans la réalité sociale de l’époque, l’industrie textile, alors florissante dans le nord de la France bercé par un capitalisme paternaliste. Dans le foyer, une exposition est d’ailleurs proposée par deux associations d’anciens salariés du textile de Tourcoing et de Wattrelos, pour faire revivre ces savoir-faire révolus. C’est dans cet esprit que Victoria Duhamel a restitué la saveur de l’ouvrage, avec la complicité du scénographe Thibaut Fack et des costumes dessinés par Émily Cauwet-Lafont.
Le plateau est meublé de tables d’atelier où se joue l’incompatibilité de classe entre Chaperon rouge et Petit Poucet, la première gourmandée par sa mère lui demandant de ne pas fréquenter le rejeton d’une famille d’oisifs gueux. La malédiction du fuseau fera tomber sur la couche de la princesse un baldaquin de sommeil qui, opportunément, prendra l’allure d’un métier à tisser, chatoyant de bleu merveilleux. La magie de la forêt se nourrit de la réalité économique. Utilisant avec doigté les ressources de la transposition, la simplicité innocente du spectacle se fait le relais idéal d’une redécouverte accessible aux plus jeunes et aux novices, mais encore stimulante pour les mélomanes plus experts.
Une distribution juvénile est partenaire de cette fraîcheur inspirée.
Stéphanie Révillion incarne un Petit Chaperon rouge sensible qui s’apparie naturellement avec le Petit Poucet délié de Capucine Meens, palpitant de naïveté joueuse. Gwendoline Druesnes affirme le babil léger et aéré de la Fée, aux aigus fruités et jamais ostentatoires [lire notre chronique de L’homme et son désir]. Eugénie Lefebvre ne minaude aucunement les sentiments de la Princesse, quand le Prince de Clément Debieuvre n’évite pas une gaucherie relative mais touchante. Kamil Ben Hsaïn Lachiri s’acquitte de la gouaille de l’Ogre et du père du Petit Poucet. La mère de ce dernier revient à Irina Golovina, qui s’oppose à la mater familias du Chaperon, sûre de son droit, dévolue à Gwénaëlle Chouquet. Mentionnons encore les interventions de Marie Hamard (Fille d’atelier) et de son pendant masculin, Olivier Fichet.
À la tête de La Grande Écurie et la Chambre du Roy, Martin Surot fait respirer le camaïeu mélodique d’une partition enracinée dans la tradition française, où l’on reconnaît la parenté de Ravel – plus que Debussy – dans l’ivresse ciselée de l’orchestration, et surtout la veine délicatement sentimentale de Massenet. Même légèrement émondée de quelques développements dramatiques plus secondaires, pour coïncider avec les exigences de durée des matinées scolaires, cette redécouverte s’inscrit dans l’identité de l’Atelier Lyrique de Tourcoing dont la place singulière dans le paysage opératique n’a nullement perdu de sa légitimité après la disparition de son fondateur.
GC