Chroniques

par laurent bergnach

La gazzetta | La gazette
dramma giocoso de Gioachino Rossini

Opéra Royal de Wallonie, Liège
- 26 juin 2014
La gazzetta (1816), un opéra bouffe de Rossini, donné à Liège en juin 2014
© opéra royal de wallonie

En 1810, Gioachino Rossini (1792-1868) n’a pas vingt ans lorsque le Teatro San Moisè (Venise) présente son premier opéra, La cambiale di matrimonio [lire notre critique du DVD]. C’est le début d’une collaboration fructueuse avec la cité des doges, reposant pour l’essentiel sur des ouvrages propres à divertir – L'inganno felice, La scala di seta, L’occasione fa il ladro (1812), Il signor Bruschino, L'Italiana in Algeri (2013), etc. Mais Milan réclame, puis encense à son tour, l’heureux créateur de La pietra del paragone [lire notre critique du DVD], ainsi que Naples. Le 4 octobre 1815, on y joue le dramma per musica Elisabetta, regina d'Inghilterra, suivi deLa gazzetta, ossia Il matrimonio per concorso (La gazette ou Le mariage par concours), le 26 septembre 1816, un dramma giocoso accueilli avec chaleur par le public du Teatro dei Fiorentini, durant vingt-et-une représentations.

Comme Giuseppe Farinelli et Giuseppe Foppa avant eux (Venise, 1813), Rossini et son librettiste Giuseppe Palomba s’inspirent d’une comédie de Goldoni qui raille une société à la solde des annonces abusives de la presse. S’adressant à des spectateurs qui ignorent tout de ses anciens ouvrages, le musicien puise abondamment dans La pietra del paragone (1812), Il Turco in Italia (1814) et Torvaldo e Dorliska (1815) qui ont fait leurs preuves. Au fil du temps, la musique d’un célèbre quintette (Acte I) se perd, retrouvée en 2012 dans la bibliothèque du conservatoire de Palerme – et que les Liégeois découvrent en exclusivité européenne.

En cette fin de saison lyrique, Stefano Mazzonis di Pralafera se charge de la mise en scène de l’ouvrage pour l’Opéra Royal de Wallonie dont il est le directeur général et artistique, avec une solide expérience de l’opéra italien puisqu’il fréquente abondamment Verdi, Donizetti, Cimarosa et Galuppi. Hélas, comme pour L’inimico delle donne [lire notre critique du DVD], la déception est au rendez-vous de ce qui est annoncé un peu abusivement comme une « création mondiale ».

Un premier désarroi vient de l’attouchement d’esthétiques rivales, puisque les personnages bigarrés vêtus par Fernand Ruiz (le fluo ne l’effraye pas !) habitent les décors hyperréalistes de Jean-Guy Lecat (façade en trompe-l’œil). Le résultat est kitsch sinon laid. Pourquoi ne pas avoir exploré la veine fantaisiste jusque dans l’architecture de l’hôtel ? Un second regret vient de l’actualisation du livret à l’heure d’internet, car si la satire de la presse était primordiale chez Goldoni, elle est anecdotique chez Rossini. Après tout, que contient cette gazette ? Juste la petite annonce d’un barbon invitant de riches célibataires à rencontrer sa fille ; soit le point de départ d’une suite de mascarades et de turqueries conventionnelles, liées à des amours contrariées. Pourquoi attirer l’attention sur le média lui-même, comme s’il y avait là sujet à méditer, voire à dénoncer ? On brouille les pistes inutilement.

Portés par la direction de Jan Schultsz qui oscille entre raideur et rondeur, les rôles masculins dominent les deux actes, et parmi ces derniers, le baryton-basse Laurent Kubla (Filippo) avec une voix claire, saine et charnue. Edgardo Rocha (Alberto) offre un ténor coloré, souple et nuancé, mais aussi quelques étranglements. Vaillant, Enrico Marabelli (Don Pomponio) livre un chant facile, quoique un peu terne. Les entourent Roger Joakim (Monsù Traversen), Jacques Calatayud (Anselmo) et l’horripilant Lilo Farrauto (Tommasino), rôle muet attaché à des running gags désolants.

Côté féminin, on apprécie Cinzia Forte (Lisetta), qui gagne en chaleur après les notes assez crues du début, l’efficace Julie Bailly (Doralice) trop peu mise en avant par la partition, mais un peu moins Monica Minarelli (Madama La Rose), femme de caractère au legato indigent. Les caméras étant dans la salle, on pourra retrouver ou découvrir tous ces artistes sur le net, durant les douze prochains mois [Culturebox].

LB