Chroniques

par isabelle stibbe

La Generala | La Générale
opereta d’Amadeo Vives

Théâtre du Châtelet, Paris
- 29 mai 2008
La Generala, opereta d’Amadeo Vives au Théâtre du Châtelet (Paris)
© marie-noëlle robert

La zarzuela est-elle soluble dans la scène lyrique française ? En programmant La Generala d'Amadeo Vives, le directeur du Châtelet le crut sans doute. Et parce qu’hors la trinité Albéniz-de Falla-Granados le répertoire espagnol est méconnu au-delà des Pyrénées, on serait tout prêt à le croire aussi. Le genre ne demandait qu'à être découvert, fort de ses glorieux ascendants (Lope de Vega, Calderón) et de ses illustres représentants (Domingo, Caballé, Berganza, etc.). Venant tout droit du Teatro de la Zarzuela de Madrid, la production du Châtelet laissait augurer du meilleur, et sa distribution cent pour cent ibère paraissait un gage d'authenticité.

Quelle déception ! C'est à se demander s'il fallait choisir cette œuvre d'Amedeo Vives (1871-1932). En dépit de sa notoriété en Espagne où elle fait figure de classique, La Generala se démarque assez de la zarzuela typique [lire notre chronique du 30 juin 2007]. Dans sa forme traditionnelle, ce spectacle léger alterne parties chantées et parlées, et depuis le XIXe siècle s'identifie à une expression populaire : scènes de rue, petits métiers, langue familière… Plutôt que puiser dans des thématiques propres au berceau natal, La Generala situe l'action en Angleterre, entre Oxford et Cambridge. Loin de mettre en scène des personnages populaires, elle traite de familles royales : Cirilo II, monarque en exil, sa femme Eva et leur fils Pio qui, se marier afin de renflouer les caisses familiales, doit épouser la riche princesse Olga. Tout irait bien si le prince n'en aimait une autre, la femme du général Tocateca : la Generala, qui fut chanteuse à Paris sous le nom de Mancelle Canard. Par bonheur fidèle à son mari, elle réussit, à la faveur d'une ruse, à rendre Pio amoureux d'Olga.

Que l'intrigue soit improbable n'est pas une première à l'opéra.
L'invraisemblance pourrait être sacrifiée sur l'autel de la tension dramatique : ce n'est pas le cas ici. Hormis la fin du second acte où on peut hésiter sur les intentions de la Generala (ruse ou trahison ?), nul suspense ne soutient l'attention du spectateur. Le jeu de dupes pourrait en être sublime, à l'instar de la scène du bosquet des Nozze di Figaro ; il ne fait que clore l'œuvre sur une scène affligeante de pauvreté psychologique où l'on ne croit pas une seule seconde au revirement soudain du prince.

Et la musique ?
Elle n'a rien de remarquable et, dirigé sans brillance par José Fabra, l'Orquestas de la Comunidad de Madrid peine à relever son manque de relief. Quant au plateau vocal, il est, dans l'ensemble, médiocre. Faute de soutien, l'aigu trop ouvert du prince Pio (Enrique Ferrer) sont détimbrés, tandis que Cirilo II (Enrique Baquerizo) est le plus souvent couvert par l'orchestre. Les femmes sont d'un meilleur niveau, notamment l’Olga de Beatriz Diaz, seule chanteuse à apporter, par sa voix et sa sincérité, une dimension poétique… bien loin des jeux de scène vulgaires du roi ou de son épouse Eva qui s’épanche à quatre pattes dans la recherche de ses émeraudes !

Pour tromper son ennui, on aimerait se tourner du côté de la mise en scène.
Mais là encore, Emilio Sagi ne livre qu'un spectacle sans imagination. Le décor du premier acte (parquet et murs lambrissés) donne l'impression d'avoir été vu maintes fois : on pense à l'Alcina de Carsen (sans son intelligence) ou au Misanthrope d’Hemleb (sans sa géniale déconstruction). Quelques jolies trouvailles, quand même, au second acte – le carrousel ou Pierrot apportant sa lune –, mais qui ne réussissent pas à faire oublier le manque général d'inventivité.

Si les dictionnaires de théâtre se plaisent à dire que « malgré son déclin depuis la guerre civile, la zarzuela reste un patrimoine musical et verbal de référence, un pan capital de la culture et des spectacles en Espagne » (Corvin), l'occasion de s'en assurer fut ici manquée. L'esprit français s'attendait à du second degré, de celui auquel Offenbach l’habitua. En vain.

IS