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La grotta di Trofonio | L’antre de Trophonius
commedia per musica de Giovanni Paisiello
Deux cents ans ! Voilà deux siècles que s’éteignait à Naples Giovanni Paisiello (1740-1816). En soixante-seize ans d’existence, le pugliese eut le temps de beaucoup écrire, et notamment des opéras. On le fit même musicien officiel de la cour de la tsarine Catherine II pour laquelle il composa Il barbiere di Siviglia (1782) qui connut un beau succès [lire notre chronique du 27 février 2005 et notre critique du CD], avant que la version rossinienne (1816) vînt dérober la haute estime où on le tenait. Fastueusement restauré par Francesco Scarola, le Teatro dei Fiorentini de Naples, que les bombes détruiraient en 1941, affichait en décembre 1785 la création de La grotta di Trofonio.
Ne vous trompez pas : cette farce de Paisiello est bien différente de celle d’Antonio Salieri, créée deux mois plus tôt au Burgtheater de Vienne. Elle survient pourtant d’une sorte de fuite : l’abbé Giambattista Casti (1724-1803), déjà librettiste de Paisiello pour La finta amante (1780) puis Il re Teodoro di Venezia (1784), avait été sollicité par Salieri pour écrire le livret de sa Grotta di Trofonio à la place de Lorenzo da Ponte, tombé en disgrâce auprès de l’empereur autrichien. Seulement, Salieri dut exiger de nombreux aménagements, car le texte de son opéra est très différent de l’original [lire notre chronique du 11 mars 2005]. Que s’est-il donc passé pour que la première version du livret de Casti, imprimée à Vienne, atterrît à Naples sur la table de Giuseppe Palomba (1765-1825) auquel Cimarosa eut fidèlement recourt ? Mystère… bref, Palomba ne touche presque pas à la prose de son aîné mais ajoute une intrigue parallèle pour corser l’histoire.
Montée par Alfonso Antoniozzi au Festival della Valle d’Itria-Martina Franca dans le cadre du Progetto Paisiello 1816-2016, Gianluca Falaschi signant les costumes, Dario Gessati le décor et Camilla Piccioni la lumière, cette comédie lyrique, reprise cet été pour la première fois depuis le XIXe siècle, gagne en ce moment la petit scène du magnifique Teatro di Corte di Palazzo Reale. Dans cet écrin précieux, le Teatro di San Carlo joue les ouvrages baroques de sa saison – c’est d’ici que notre confrère relatait une rareté de Niccolò Jommelli [lire notre chronique du 15 mai 2015]. Ce sont d’ailleurs les ateliers de confection du San Carlo qui réalisèrent les costumes pour la première de cette coproduction, élaborée à partir de la nouvelle édition critique de Luisa Cosi (professeur d’histoire de la musique au conservatoire de Lecce).
Quel plaisir que la direction endiablée d’Alessandro De Marchi ! Le digne successeur de René Jacobs à l’Innsbrucker Festwochen der Alten Musik [lire nos chroniques du 10 août 2011, des 11 et 12 août 2012, enfin des 12 et 13 août 2014] mène les instrumentistes de l’Orchestra del Teatro di San Carlo dans une plaisante vivacité. La fosse domine la scène, non en termes sonores mais pour l’intérêt global. Avec un tel chef, il serait stupide de craindre des voix couvertes. C’est au contraire bien à l’écoute des chanteurs que s’exprime cette interprétation joueuse dont les cordes courent et volent !
Nonobstant, le cast est assez inégal. Le Piastrone de Giorgio Caoduro séduit par un timbre sûr et une émission d’une stabilité en béton armé. Bravo au jeune baryton frioulan pour sa brillante composition [lire nos chroniques du 25 novembre 2011 et du 14 octobre 2007] ! Le baryton-basse Filippo Morace convainc nettement moins en Gasperone toujours forcé. L’Espagnol David Ferri Durà offre une voix d’or au rôle d’Artemidoro. Daniela Mazzucato campe avec superbe une Bartolina qui fait rire. Le personnage foufou de Rubinetta est confié à l’enfant du pays, l’agile Caterina Di Tonno. Rôle serio, Eufelia est joliment servi par le soprano charnu de Maria Grazia Schiavo [lire notre chronique du 22 juillet 2015 et notre critique du DVD Partenope], avec deux arie di bravura en bonne et due forme. Personnellement, je ne connaissais pas encore la verve comique du très talentueux contralto Sonia Prina [lire nos chroniques du 12 avril 2015 et du 28 juillet 2009, ainsi que notre critique du CD Alcina] : elle est littéralement irrésistible en Dori ! Quant à Roberto Scandiuzzi, basse robuste qui possède une belle présence en scène, il incarne un Trofonio plein d’une morgue sage, grâce à l’autorité du timbre et à un grand métier [lire nos chroniques du 23 avril 2013 et du 29 février 2008].
Sans prise de risque, la mise en scène d’Alfonso Antoniozzi reste toujours proche du texte, malgré une transposition de l’argument dans les années 1900 qui, sans apporter grand-chose, n’est pas plus dérangeante que ça.
KO