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Chroniques
La Juive
opéra de Fromental Halévy
Jeune et coiffé avec beaucoup de goût, un nouveau jour se lève devant l'Opéra national de Lyon en la personne de son prochain chef permanent (à compter de septembre 2017), l'Italien Daniele Rustioni. Deux ans après Simon Boccanegra [lire notre chronique du 7 juin 2014], son retour dans la capitale des Gaules polarise l'attention, à diriger de sensationnelle manière La Juive à l’occasion du festival Pour l’humanité où nous découvrions Benjamin, dernière nuit de Tabachnik, il y a quelques jours [lire notre chronique du 26 mars 2016]. Quel authentique petit bijou lyrique représente, donné aujourd'hui en modèle réduit, le grand opéra français composé par Fromental Halévy à l'hiver 1833 ?... Entre le rêve d'une imaginaire version complète et le plaisir bien réel de cette représentation assez loin de l'idéal, autant s'offrir les deux !
Le meilleur ou presque vient de la partition. Ainsi de l'Ouverture, aux trompettes un peu brusques tout d'abord, puis plus veloutée et enfin bien affermie dans l'Allegro. Ce vaste bonheur musical truffé d'ambiances fortes et variées – de la ferveur chrétienne à la colère fanatique, en passant par la liesse, puis la stupeur devant le forfait de Léopold, le prince libérateur – s'ensuit du bon travail du Chœur « maison », capable d'une terrible puissance, populaire et aveugle, ne serait-ce qu'au tout dernier mot du drame (« des juifs nous sommes vengés ! »). Entre-temps, des chanteurs délicieux ont pris place sur scène et conquis les faveurs du public, à commencer (surprise !) par la sémillante princesse Eudoxie du soprano espagnole Sabina Puértolas, pour sa prestance mais aussi son sens du comique, sans oublier l'audace de son boléro (Acte III) et l'émotion du duo avec Rachel (Acte IV). Dans le rôle-titre, le soprano suisse Rachel Harnisch se montre d'une supérieure qualité de timbre et d'émission – parfois fabuleuse, par exemple, à l'Acte II, dans le trio et dans le fameux air Il va venir – jusqu'à exprimer pleinement la grâce et l'esprit de sacrifice du personnage.
Quant aux hommes, poussés quelquefois à la limite du passage en force, l'Eléazar de Nikolaï Schukoff emporte l'adhésion dans le très attendu Rachel quand du seigneur, avec une pudeur et une retenue aussi étonnantes que bienvenues. Si le rôle a de quoi épuiser bien des chanteurs (comme autant de souris blanches en laboratoire), l'endurance wagnérienne du ténor autrichien lui permet néanmoins de filer bon train [lire notre entretien avec l’artiste]. Seconde grande surprise vocale de la soirée : avantageusement remarqué dans un remplacement au pied levé dans Caterina Cornaro [lire notre chronique du 22 juillet 2014], le ténor sicilien Enea Scala s'impose en Léopold à la fois fougueux et mélodieux, tout juste un peu trop tendu dans la sérénade du premier acte – superbe morceau qui enchanterait bien des récitals !
Austères costumes, lumières crues, large escalier sombre sans issue, mornes décors fermés évoquant le Mémorial de l'Holocauste à Berlin (Denkmal für die ermordeten Juden Europas) ou une forêt peinte par Anselm Kiefer... la mise en scène d'Olivier Py est une transposition de l'intrigue à la fin du XXe siècle, alourdie de certains signes grossiers – menorah de fortune, étoile de David, violences xénophobes, etc. –, présentés avec une distanciation neutre, peut-être sage, ainsi qu'une sincère compassion culminant dans la belle union tragique du trio en fin d'Acte II. Pour simplifier, l'essentiel des protagonistes (Eléazar, Rachel et Léopold) tient ici dans leur accablement. Ce pathétisme est, dans une certaine mesure, envisagé par l'opéra d’Halévy qui déplore combien la judaïté demeure perçue comme une tare, au XVe siècle et à travers les âges – à l'infini, semble-t-il...
FC