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Chroniques
la leçon d’électronique d’Ivan Fedele
Silva Constanzo et Mario Caroli
Compositeur invité cette année par le Centre Acanthes (en compagnie d’Hugues Dufourt et Bruno Mantovani), Ivan Fedele ne se contente pas de conseils, de cours et de master class. Sa musique elle-même est pleine d’enseignements, alliant invention et clarté de l’écriture avec une élégance rare. Organisé en une courte monographie couvrant une quinzaine d’années de son œuvre pour instrument seul, le second concert de cette quinzaine est une grande leçon de musique, dispensée au public messin en même temps qu’aux apprentis compositeurs.
La première partie est consacrée à une œuvre pour flûte seule, Donax (nom latin donné à la branche dans laquelle on perce la flûte). Composée en 1992, elle sera l’objet, cinq ans plus tard, d’un nouveau travail, électronique celui-là, qui donnant naissance à Donacis Ambra (l’ambre évoquant la partie électrique ajouté au Donax), que nous avons la chance d’entendre, immédiatement après sa grande sœur, interprétées toutes deux par l’excellent Mario Caroli [photo].
Dans Donacis Ambra, Fedele donne un nouveau sens au terme de variation. Sans retoucher le matériau originel — la partie de flûte reste inchangée —, il lui associe un dispositif électronique en temps réel qui, en jouant sur des boucles et de la synthèse granulaire en même temps que sur la résonance, met en relief l’abyme contrapuntique qu’il y avait esquissée cinq ans plus tôt. Chaque geste musical ayant une identité propre — qui fait appel à un comportement musical déterminé (traits virtuoses ou son soufflé, notes rapides répétées ou ton apaisé harmonieux) et un registre particulier —, le contrepoint se dessine avec une limpidité désarmante, de même que l’architecture de la pièce. Si Donax était contrastée et violente, voire souvent frénétique, Donacis Ambra, tout en étant plus épaisse verticalement et horizontalement, en redessine les contours et laisse deviner son fantôme, comme une aura rémanente qui se dégagerait du discours.
Écouter l’électronique de Fedele est un vrai plaisir. Le compositeur se garde bien d’en faire trop, ne se laisse pas séduire par le gadget et considère plutôt l’outil. Aussi ne va-t-il pas chercher le complexe ou le sophistiqué comme un but en soi. L’électronique est consommée, appropriée. Ni extravagante, ni artificielle, c’est une électronique pertinente et expressive qui suit, soutient et tisse les lignes de force.
Cette impression de sublimation de l’outil est confirmée par l’écoute de Due Notturni con figura, pour piano et électronique. Pensée comme un double hommage à Vox Balenae de George Crumb et à la Cathédrale Engloutie de Claude Debussy, l’œuvre est une réflexion sur le son du piano tel que pensé par ces deux compositeurs. On y retrouve une fascination pour le timbre de l’instrument en même temps qu’une recherche de couleurs harmoniques singulières. Longue, animée d’un nombre réduit d’événements sonores, elle plonge dans une dimension temporelle autre — moins contemplative qu’hypnotique. Tournant autour de figures répétitives aux glissements impalpables, Fedele trouve, au moins dans le Premier Nocturne, un son, une résonance, un roulement lointain (bourdonnement et vibration formidable, dans les extrêmes basses du piano et de l’électronique) qui fait oublier le temps. Là encore, il faut applaudir l’admirable performance (et les couleurs travaillées) de la pianiste Silva Constanzo — elle aussi invitée par le Centre Acanthes, tout comme Mario Caroli, pour aider les jeunes musiciens à se frotter au répertoire contemporain.
JS