Chroniques

par bertrand bolognesi

la leçon des maîtres
Jordi Savall et Patrick Bismuth

Sinfonia en Périgord / Abbaye de Chancelade
- 29 et 31 août 2006
le gambiste Jordi Savall, invité du festival Sinfonia en Périgord
© david ignaszewski

Entre quelques moments chambristes et les grandes fêtes concertantes, la belle décade musicale périgourdine offre deux inoubliables rendez-vous solos, toujours dans le cadre idéal de l’Abbaye de Chancelade, tel que l’intimité du récital de Gérard Lesne nous le révélait l’an dernier [lire notre chronique du 1er septembre 2005].

Tout d’abord, Jordi Savall [photo] invite le public à une promenade à travers la musique pour viole de gambe, un parcours ouvert par le tardif Abel et remontant petit à petit le fil du temps. Ainsi présente-t-il près de deux siècles en traversant des factures et esthétiques complètement différentes. Le plaisir est grand, tant Savall fait chanter sa viole, qu’il prête son talent aux œuvres de Schenck ou à celles de Bach. Infiniment sensible s’avèrent Les Pleurs de Sainte-Colombe, de même que tragiques se font Les voix humaines de Marais, tandis que la Muzette révèle un art remarquable de l’imitation.

Outre d’interpréter magistralement ses nombreuses pièces, le musicien prend la peine d’expliquer clairement et simplement son programme, dans une douce proximité avec l’auditoire. La seconde partie de cette soirée (mardi) nous guide dans l’univers particulier de Tobias Hume, des chansons britanniques anonymes du XVIe siècle, qui parfois demandent à l’instrument de se prendre pour une cornemuse, nous menant au bout du sentier.

Le surlendemain, en fin d’après-midi, Patrick Bismuth interprète trois grandes pages de Johann Sebastian Bach. Dès la Partita en mi majeur n°3 BWV 1006, il impose une présence saisissante, presque intrusive. L’accentuation demeure toujours légère, évitant toute disgrâce pulsatile, et la couleur soigneusement choisie, comme en témoigne la Bourrée dont la partie centrale évoque discrètement mais sûrement des sonorités pastorales et populaires. L’Adagio initial de la Sonate en sol mineur n°1 BWV 1001 amorce un tout autre climat, nourri par une lecture tendue où l’ornementation semble douloureuse. S’opposant à la fluidité de l’aigu jusqu’à la rencontre obstinément virtuose du milieu de la Fugue, superbe est la morsure de la corde dans le grave. Après une Sicilienne âpre et recueillie, le violoniste énonce un Presto d’une régularité obsédante. Aux précieux clairs-obscurs de l’Allemande de la Partita en ré mineur n°2 BWV 1004 succède une Courante à la fois bondissante et musclée, fermement achevée, l’articulation délicate de la Sarabande introduisant une Gigue fiévreuse. À elle seule, quoique préservée dans un savant feutrage, la Chaconne évolue dans une dynamique profuse qui l’érigea en théorie des affects, dans un dessin phraséologique infiniment sensible.

Nous le disions plus haut : Jordi Savall est chanteur. Quant à lui, Patrick Bismuth s’affirme peintre : il joue avec l’éclairage pour révéler de subtils effets de texture dans une profondeur qui ferait se rejoindre le désir d’une toile non encore commencée et l’émotion de sa future contemplation dans l’actualité du son.

BB