Chroniques

par katy oberlé

La pietra del paragone | La pierre de touche
melodramma giocoso de Gioachino Rossini

Rossini Opera Festival / Adriatic Arena, Pesaro
- 14 août 2017
reprise réussie de la légendaire production de Pier Luigi Pizzi à Pesaro
© amati bacciardi

Après le grand large méditerranéen, la côté adriatique ! Loin des alizés siciliens, je m’installe quelques jours dans le nord des Marches, où est située la ville natale de Gioachino Rossini. Outre qu’on peut visiter sa maison, au cœur de la cité ensoleillée, le fameux Rossini Opera Festival accueille les fans du compositeur italien, chaque été depuis plus de trente ans.

En tout Rossini fut précoce. Comme s’il ne suffisait pas que La cambiale di matrimonio, son premier opéra à connaître les planches en novembre 1810, lorsque le génie avait dix-huit ans [lire notre critique du DVD], fût suivi de L'equivoco stravagante un an plus tard à Bologne, six ouvrages virent le jour dans la seule année 1812 – celle de sa vingtaine, donc ! –, dont deux écrits pour la voix (mais aussi les beaux yeux) de Marietta Marcolini qui venait de créer le rôle de Ernestina dans L'equivoco : Ciro in Babilonia à Ferrare en mars et La pietra del paragone en septembre à Milan. Les quatre autres sont L'inganno felice que Venise donne en janvier, La scala di seta joué dans le même Teatro San’Moisè au mois de mai, de même que L'occasione fa il ladro dont la première s’y fit en novembre. Il en manque un ?... c’est parce que l’opera seria que Rome révèle au public en mai 1812, Demetrio e Polibio, fut en fait composé en 1806 par un cher Gioachino de quatorze ans ! Après avoir livré une quarantaine de titres, Rossini quitte la scène pour une retraite elle aussi précoce et très longue : en 1830, il n’est pas encore quarantenaire et s’adonne à la gourmandise des vieillards jusqu’à sa mort, trente-huit ans plus tard.

Mais en cette deuxième décennie du XIXe siècle, la verve enjouée du musicien est encore des plus vives : en témoigne la présente farce, La pietra del paragone, avec laquelle il fit une entrée fracassante à La Scala où elle connut un très grand succès. Si je connaissais l’existence du festival de Pesaro depuis toujours, c’est la première fois que je m’y rends. Chance : la reprise de la production légendaire signée par Pier Luigi Pizzi en 2002 est l’occasion d’une passionnante séance de rattrapage.

Si l’on se souvient des scénographies baroques du maître italien, dont plus d’une a marqué l’histoire de la mise en scène d’opéra, celle-ci transpose à l’inverse l’intrigue ancienne dans une architecture d’aujourd’hui, villa chic en lisière de forêt paysagère, avec piscine au bord de laquelle les personnages peuvent à loisir s’admirer en sirotant des alcools, deviser, batifoler, s’égarer, se défier, etc. Son goût décoratif de toujours est de la fête, avec un travail très esthétique sur les lignes, la lumières et les couleurs. L’argument ne perd rien en crédibilité, et l’affaire trouve, en cette contemporanéité, des échos intéressants – plus radicale encore, l’option de Giorgio Barberio Corsetti, au Théâtre du Châtelet, n’égratignait pas l’œuvre [lire notre chronique du 22 janvier 2007]. On admire la concentration sur les protagonistes de l’intrigue, leurs relations dans une situation de toute façon improbable, dans un climat dominé par un érotisme souterrain.

La représentation est servie par un cast de rossiniens émérites.
Aya Wakizono offre une agilité à toute épreuve à Clarice, redoutable moteur à chanter. En Aspasia, la jeune Aurora Faggioli ne démérite pas, malgré un timbre relativement dur. En revanche, le soprano Marina Monzó fait belle impression en Fulvia – voilà une chanteuse qu’il faudra suivre. Le baryton Gianluca Margheri possède tout ce qu’il faut pour incarner l’étrange et taquin Asdrubale : l’émission est suave à souhait, la ligne bien tenue, musicale, et le rôle agrémenté d’un physique qu’on rencontre rarement au théâtre [lire notre chronique du 16 août 2012]. Remarqué en Orphée gluckien [lire notre chronique du 5 décembre 2007], le ténor russe Maxim Mironov fait preuve d’une bonne virtuosité en Giocondo, le petit poète éconduit ; avec ce rôle, il poursuit une carrière rossinienne d’une stature déjà respectable [lire nos chroniques de Maometto II, Otello, et L’Italiana in Algeri à Toulouse et à Pesaro]. Il m’avait convaincu à Berlin en Don Giovanni gourmand et sexy cet hiver, après avoir captivé une autre oreille à Naples [lire nos chroniques du 15 janvier 2017 et du 15 mai 2015] : le baryton très puissant de Davide Luciano est luxueusement distribué en journaliste Macrobio, avec une couleur riche et une précision vocale fabuleuse. Salué dans Donizetti [lire notre critique de Don Gregorio], un autre baryton est parfait dans la partie buffa du scribouillard Pacuvio : Paolo Bordogna le campe en comédien irrésistible.

On doit encore la réussite de cette soirée à l’efficacité des membres du Coro del Teatro Ventidio Basso (dirigés par Giovanni Farina), dont la prestation toute en légèreté est une véritable chance, et à une fosse électrique : sous la battue toujours urgente de Daniele Rustioni, le nouveau chef de l’Opéra national de Lyon [lire notre chronique du 30 mars 2016], les musiciens de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della Rai mènent la comédie vers une malignité savoureuse. Ça commence bien !

KO