Chroniques

par gérard corneloup

La Princesse de Trébizonde
opéra-bouffe de Jacques Offenbach

Opéra-Théâtre de Saint-Étienne
- 17 mai 2013
une rareté signée Offenbach, mise en scène par Waut Koeken à  Saint-Étienne
© cyrille cauvet

Parfois, avec les écrivains, les peintres, les auteurs dramatiques, les compositeurs, l’arbre peut cacher la forêt. Dans le cas d’Offenbach, on monte à un bouquet mêlant Orphée aux enfers, La belle Hélène, La vie parisienne et autre Périchole, masquant pas moins d’une bonne centaine d’œuvres lyriques, sans parler du reste. Bien des petits chefs-d’œuvre figurent dans cette abondante production, comme cette Princesse de Trébizonde que l’Opéra de Saint-Étienne sort audacieusement des tiroirs.

Écrit justement entre La Périchole et Les brigands par un Offenbach en grande forme, donné en création à Baden Baden en juillet 1869 puis repris sur la scène des Bouffes Parisiens en décembre, l’ouvrage a peut-être pâti du contexte politique des mois suivant, voyant la France en guerre et en chute libre le régime impérial, soutient habituel du théâtre offenbachien. Le livret n’a évidemment rien de bien original, sinon que le traditionnel jeune seigneur amoureux (rôle travesti) est épris d’une fille de saltimbanques qui remplace sur scène… une statue de cire dont on a cassé le nez et qui ne peut plus servir – la Princesse de Trébizonde, justement. Quiproquos, cachoteries, drôleries et rosseries fourniront matière à une suite bien menée de solos, de duos, d’ensembles vocaux et de scènes chorales alertement troussés, mais dont la fine patine préfigure déjà les pages subtiles des Contes d’Hoffmann.

Monter sur scène cet opéra-bouffe offre évidemment un matériau tout trouvé à qui s’y attelle, du théâtre des saltimbanques, coulisses comprises, à la riche demeure princière du père de l’amoureux. Le jeune metteur en scène belge Waut Koeken en profite, l’utilise avec un adroit mélange d’art et d’audace, fait bouger son monde, ménage ses entrées et ses sorties, toujours fondamentales dans le genre, jongle habilement avec les décors conçus par Benoît Dugardyn, avec les éclairages appropriés de Nathalie Perrier et utilise au mieux les pittoresques costumes de Carman Van Nyvelseel. Ajoutons les « adaptations » que le maître d’œuvre crut devoir faire subir au texte original, en compagnie de son assistant et complice, Benjamin Prins. Évidemment, on peut considérer que cela trahit un rien la composante parlée (encore que « prima la musica… »), mais on ne peut nier que cette implantation du verbe dans le vocabulaire de notre époque, que tout le monde comprend et savoure, apporte une touche savoureuse fort bienvenue – et quand le prince Casimir déclare vouloir être « un souverain normal », tout le monde rit et applaudit.

Toutefois, les parties vocale et scénique du spectacle, déjà trop souvent phagocytées par la fosse, paraissent encore plus souvent diluées dans les airs et certains duos, comme happées par les cintres. Dommage… et n’en accusons pas d’emblée les lieux : d’autres spectacles récents, comme une superbe Traviata [lire notre chronique du 15 mars 2013], ont montré que certains metteurs en scène savaient se prémunir de la chose.

Cette composante musicale bénéficie d’abord de la direction fort engagée de Laurent Campellone qui restitue totalement la vivacité, la vélocité, la bonne humeur de cette musique. Il l’aime visiblement et elle le lui rend bien, tout comme l’orchestre maison la défend avec brio (excepté un premier violon « de service » qui a fait subir les pires outrages à son solo). Autre composante de choix : le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire ; après un départ un rien désaccordé, il prend vite sa revanche, tant vocalement que dramatiquement, tout particulièrement l’équipe féminine qui chante au mieux la savoureuse scène des pages.

La distribution vocale joue la jeunesse et comporte de savoureuses prestations, même si certains timbres, certaines vocalités, ne sont point en osmose parfaite avec leur rôle. Ainsi pour le couple des amoureux Zanetta et Raphaël, tenu par Amel Brahim-Djelloul et Marie Kalinine. En revanche, le ténor Raphaël Brémard (fort bien distribué) domine haut la main, épaulé par la pétillante Régina de Romie Estèves et la savoureuse Paola de Marie-Thérèse Keller, voire le Cabriolo de Lionel Peintre.

On l’aura compris : cette exhumation fait espérer que l’Opéra de Saint-Étienne continuera dans la voie ainsi tracée. Du superbe Barbe-Bleue à la merveilleuse Geneviève de Brabant, on attend la suite !

GC