Chroniques

par gilles charlassier

la promenade des anglais
Lucile Richardot, Correspondances, Sébastien Daucé

Festival de Saintes / Abbaye aux dames
- 16 juillet 2018
au Festival de Saintes, Lucile Richardot chante les Anglais du XVIIe siècle
© léa parvéry

Au carrefour des époques et des esthétiques, le Festival de Saintes cultive depuis ses débuts un éclectisme exigeant qui aime à sortir des sentiers battus. Si le dernier concert de ce lundi propose, avec Maude Gratton et Florent Jodelet, une association inattendue entre clavecin et percussions qui mêle à la création contemporaine quelques éclats baroques, la première partie de soirée invite à un voyage dans l'Angleterre du XVIIe siècle. Entre Renaissance et Baroque émerge, de l'autre côté de la Manche, un genre original de monodie accompagnée qui constitue, en quelque sorte, un jalon entre Dowland et Purcell. Dans la foulée de la sortie de leur disque en avril dernier, Lucile Richardot et Sébastien Daucé, avec l’ensemble Correspondances, présentent une anthologie habilement concoctée de songs où dominent souvent les affects mélancoliques et une inspiration pastorale, sans oublier les teintes nocturnes qui donnent le titre au récital.

Care charming sleep de Robert Johnson (1583-1633) ouvre le recueil, sur des accents d'une intériorité intense, portée par le timbre charnu et la musicalité fine de Lucile Richardot, ainsi que la complicité de l'accompagnement instrumental. Soucieux de ménager une continuité poétique, sans pour autant céder à la monochromie, on enchaîne avec une page de Giovanni Coperario (1570-1626), Go happy man, caressante de légèreté et de caractère, avant une première occurrence de William Lawes (1602-1645), Whiles I standing lake, douce déploration intime comme, plus tard, Music the master of thy art is dead, qui contraste, toujours du même, avec le Britannia Triumphans, vaste numéro à quatre, charpenté et haut en couleurs – dont une chaconne de belle tenue et des ensembles rayonnants – qui referme la première partie du concert. Avant une courte pause, on aura également entendu la vanité O precious time de Martin Peerson (1571-1650), No more shall meads de Nicolas Lanier (1588-1666), un vindicatif Go perjured man de Robert Ramsey (1590-1644), ainsi que la descente d'Orphée aux enfers (Howl not, you ghosts and furies), également de Ramsey, d'une remarquable économie théâtrale, après un intermède instrumental de John Jenkins (1592-1678) auquel fait écho la psalmodie plaintive d'Orphée, Give me the lute, de John Banister (1624-1679).

Cette alchimie entre reconstitutions narratives à plusieurs mains (et voix) et panorama aussi cohérent que varié se retrouve dans la seconde partie. Elle translate discrètement vers Blow (1649-1708) et Purcell. La soie délicieuse et enveloppante de Powerful Morpheus du bien nommé William Webb (1600-1657) tisse une toile sonore envoûtante, subtilement exhalée par le mezzo français – et qui tiendra lieu de bis exquis. John Hilton (1599-1657) esquisse un Dialogue of Juno, Venus, Pallas, Paris d'une indéniable élégance, sans cabotiner aucunement la querelle de la pomme, qui se conclut sur un chœur d'une lumière sans emphase. Signé James Hart (1647-1718) un autre intermède introduit Amintas, mélopée délicate de George Jeffreys (ca.1610-1685), et une intrusion de l'italien dans la Pastorella de Matthew Locke (1622-1677) qui reste cependant bien anglaise quant au style vocal et au canevas orchestral. Blow referme ce parcours par une Sarabande et trois pages qui, avec le When Orpheus sang de Purcell, fait revenir les oreilles à la lumière : Loving above himself, Phillis, oh turn, et enfin, un Epilogue, sing sing ye muses. Calibrant les mots et les notes, le consort, vocal et orchestral, rend justice à un répertoire encore méconnu : excellence et découverte se confirment comme les veines nourricières du festival.

GC