Chroniques

par katy oberlé

La resurrezione
spectacle de Calixto Bieito – musique de Georg Friedrich Händel

Nationatheater Mannheim / Schloß Schwetzingen
- 11 juillet 2023
Au Château de Schwetzingen, Calixto Bieito met en scène "La resurrezione"...
© christian kleiner

Après Saint François d’Assise, apprécié dans un concept fort, avant-hier, à la Staatsoper de Stuttgart [lire notre chronique du 9 juillet 2023], et avant un opéra oublié du début du XXe siècle qui puise son inspiration dans la Genèse, que l’on abordera demain à Francfort, faisons une halte à mi-parcours des quarante-cinq lieues séparant les deux villes. Le somptueux théâtre rococo [lire nos chroniques de Giulietta e Romeo et de Mitridate] – conçu en 1752 par l’architecte lorrain Nicolas de Pigage, dans l’élégant pavillon circulaire édifié en 1750 par l’illustre Parmesan Alessandro Bibiena dans le parc du château baroque de Schwetzingen, résidence d'été des électeurs palatins – accueille un spectacle produit par le Nationatheater de Mannheim (Schwetzingen est équidistant d’Heidelberg au sud-est et de Mannheim au nord-est) qui, lui aussi, interroge la chose religieuse, voire spirituelle.

Sur un livret du poète romain Carlo Capece, Händel, musicien saxon de vingt-deux ans arrivé en janvier 1707 dans la ville éternelle après une année passée à Florence, écrit l’oratorio La Resurrezione pour le prince Francesco Maria Marescotti Ruspoli. Ce grand protecteur des arts fait jouer l’œuvre dans la bibliothèque de son Palazzo Valentini (construit en 1585 pour le cardinal Bonelli), le dimanche de Pâques 1708 (8 avril). En donnant voix à Marie de Cléophas, disciple et cousine du Christ, à l’apôtre Jean et à Myriam de Magdala (Marie-Madeleine), Händel et Capece convoquaient les témoins de la mise au tombeau qui pourraient affirmer, trois jours plus tard, que le tombeau fût vide. Le propos est approfondi par le dialogue d’un ange avec son confrère déchu, Lucifer.

Dans la note d’intention à son spectacle, Calixto Bieito, qui précise ne pas croire en la résurrection, annonce vouloir démontrer par un principe érotique le fonctionnement de la religion. Si l’œuvre montre l’affliction de Jean, Marie et Myriam, ainsi que la disputation des anges – pour savoir si Jésus est mort par amour et pour sauver le monde ou si sa mort serait le triomphe du diable –, le metteur en scène espagnol s’appuie sur les images vidéo d’Adrià Bieito Camí qui invitent des références du cinéma à illustrer le mythe. Chevaux ailés et clowns méchants s’affrontent sur un tapis volant, quand ce n’est pas la créature toute couturée du docteur Frankenstein qui s’anime sous les éclairs d’un orage métaphysique. Oui, la résurrection, c’est l’éternité : il ne paraît pas incohérent d’interroger le rêve d’éternité de l’homme, particulièrement d’actualité au début du XXIe quand les scalpels vous refont une jeunesse pour quelques dizaines de milliers d’euros et que la réaction à la pandémie de SARS-CoV-2 a prouvé à quel point nous en sommes arrivés à refuser de mourir, à n’être plus capables d’entrevoir que cela nous arrivera forcément.

Sur l’espace scénique aménagé par Anna-Sofia Kirsch comme une sorte de container renversé, bordé par un amoncellement de fleurs artificielles, les personnages, habillés par Paula Klein comme nos semblables d’aujourd’hui, récitent les rôles plutôt qu’ils ne les jouent, confiant au chant le Verfremdungseffekt brechtien. La seule action qui traverse la proposition théâtrale est la copulation, y compris en ce qui concerne l’apparition de Jésus, jeune gars scotché par Lucifer dans un jeu SM. Les tribulations molles de ce petit monde entrent non seulement en contradiction avec le propos de l’œuvre, contradiction qu’elles peuvent peut-être interroger (qui sait ?...), mais aussi avec la musique qui, avec ses récitatifs et ses da capo, semble une sorte d’aberration mentale. Une nouvelle fois [lire nos chroniques de Jenůfa, Fidelio, Boris Godounov, Die Soldaten, Turandot, Lear, Tannhäuser, Carmen, Simon Boccanegra, Les bienveillantes, Die ersten Menschen et Guerre et paix], Bieito signe un travail très pauvre et ne s’adonne qu’à remployer les motifs érotico-kitsch, vaguement provocateurs, qu’il convoque partout. La réputation sulfureuse donnée à Myriam par l’Église ne justifie même pas cette dérive – c’est, d’ailleurs, bien méconnaître un personnage (dont Jacqueline Kelen a écrit une belle biographie) auquel est aussi attribué un évangile. Et je gage fort que personne dans la salle – pas seulement moi, mais vraiment personne – n’ait compris ce que la résurrection peut bien vouloir dire pour lui !

Au luthiste et chef Wolfgang Katschner [lire notre chronique de Teseo], il revient de diriger le Nationaltheater-Orchester de Mannheim, dont l’effectif est réduit aux justes proportions des pratiques de l’époque et du Rokokotheater. Il soutient idéalement les chanteurs, tout du long d’une lecture qui s’inscrit scrupuleusement dans la reconstitution de l’interprétation baroque. Le résultat s’avère de belle tenue musicale, en saine osmose avec le quintette vocal dont on apprécie la fraicheur et l’agilité du soprano Amelia Scicolone dans la partie de l’Ange [lire notre chronique de la Zauberflöte] comme la puissance stupéfiante de la basse Patrick Zielke, en parfait Lucifer.

Quant aux mortels Marie de Cléophas, Myriam de Magdala et Jean l’Apôtre, ils bénéficient des talents de Maria Polańska, mezzo-soprano à l’intonation toujours exacte et au timbre coloré, du soprano Seunghee Kho toutefois un peu sous-dimensionné pour le rôle, et, surtout, de l’excellentissime Patrick Kabongo, ténor belcantiste qui s’est construit une technique à toute épreuve et que le public applaudit à s’en rougir les paumes [lire nos chroniques d’Armide, L’inganno felice, Romilda e Costanza, Moïse et Pharaon, L’equivoco stravagante, Le Balcon, Elisabetta, regina d’Inghilterra, Le philtre, Armida et Il Turco in Italia]. Si la mise en scène a touché le fond – nous titrons donc La resurrezione avec un petit r –, le plateau vocal était au sommet !

KO