Chroniques

par bertrand bolognesi

La Santissima Trinita | La Sainte Trinité
oratorio d’Alessandro Scarlatti

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 13 octobre 2003
le compositeur sicilien Alessandro Scarlatti
© dr

On connaît la légendaire prolixité du Sicilien Alessandro Scarlatti qui abreuva de nombreux ouvrages vocaux, tant religieux que profanes, la vie musicale de Rome, Venise, Bologne, Urbino, Naples, etc. On le suppose élève du grand Carissimi à Rome, ce qui n’a pas encore été vraiment prouvé, Rome où il fera représenter son premier opéra à dix-neuf ans, Gli equivoci nel sembiante. On dénombre des partitions religieuses et instrumentales pour la cour de Christine de Savoie, puis une résidence à Naples de 1684 à 1702 produisant rien moins que trente-cinq opéras, des oratorios, des messes et des sonates. Pendant les quatre années suivantes, il exerce à Florence, alors que son fils Domenico, âgé d’une vingtaine d’années, est déjà un claveciniste et un compositeur fameux. Ne parvenant à occuper un poste stable, intéressant, flatteur et enrichissant, Scarlatti honore quelques commandes ponctuelles qui le conduisent à Rome, à Bologne, Mantoue, Venise, Urbino. Pour finir, il se fixe à Naples à partir de 1721, pour ses quatre dernières années.

Scarlatti fut sans doute le plus important représentant du grand opéra napolitain à l’essor duquel il avait activement contribué. Par une sorte de réforme des traditions, il parvint à distinguer, dans les années 1690, le style napolitain du style romain. Les modes passant aussi vite qu’elles surviennent, il quittera ce monde avec l’estime de quelques bonnes mémoires et l’oubli ingrat de la nouvelle génération qui lui devait tant.

La Santissima Trinità, oratorio pour la Sainte Trinité, fut vraisemblablement donnée à Naples ; il est conservé à la Bibliothèque de cette ville. Bien que le manuscrit en fût redécouvert en 1960, cet ouvrage n’a pas inspiré d’exécution récente. Ce soir, Europa Galante et Fabio Biondi en font goûter les délices. Cette écoute laisse pourtant perplexe : l’on y reconnaît bien la maîtrise de l’auteur, mais de complaisantes concessions aux aléas du goût de son temps déçoivent. Si quelques commentateurs plus savants dirent des œuvres sacrées de Scarlatti qu’elles affirment une relative austérité, indéniablement cet oratorio s’adonne au pécher inverse, sa cohérence sombrant systématiquement dans les charmes d’une séduction facile pour des oreilles paresseuses qui aiment les vaines flatteries, au risque par endroit de ne plus même répondre à l’exigence d’élégance qui fut la marque du maître. L’on pourra dire que cette résurrection permet qu’on appréhende un Scarlatti quelque peu flagorneur qu’on ne soupçonnait pas.

La Santissima Trinità ne bénéficie pas d’une exécution satisfaisante.
Si l’on prend plaisir à retrouver quelques artistes dont on apprécie régulièrement les qualités et le travail, la distribution se complète avec moins de bonheur et la lecture orchestrale s’avère approximative, surtout dans la première partie. Entendu hier après-midi à Ambronay [lire notre chronique du 12 octobre 2003], le ténor Paul Agnew accuse une forme moins convaincante. Les ornements sont rapidement expédiés et le timbre nettement moins éclatant. La basse Roberto Abbondanza se révèle si caverneuse,avec des sons systématiquement écrasés, que la hauteur s’en trouve malmenée.

Quant à elle, Véronique Gens offre une prestation exemplaire, un peu discrète, voire nerveuse, qui se bonifie au fil de l’œuvre. Une nouvelle fois, on comprend mal l’engouement général pour le mezzo-soprano Vivica Genaux. Cette artiste possède un timbre disgracieux, agressif, qui ne peut guère que la distinguer négativement. Cela dit, avec un appareil si peu aimable, la chanteuse fait montre d’une technique extraordinaire, d’un art du chant très travaillé, d’un impressionnant savoir-faire. Enfin, la Foi est confiée à Roberta Invernizzi qui propose une interprétation enjouée, nuancée, brillamment ornée, d’un timbre chaleureux et d’une voix agile. C’est indéniablement une nature théâtrale, tempérament qui surgit ici comme une qualité remarquable à défendre un style d’une religiosité ambiguë.

BB