Chroniques

par irma foletti

La scala di seta | L’échelle de soie
farsa comica de Gioachino Rossini

Rossini in Wildbad / Luft- und Sonnenbad, Bad Wildbad
- 22 juillet 2021
"La scala di seta" au festival Rossini in Wildbad 2021
© patrick pfeiffer

Ce soir, le festival Rossini in Wildbad nous convie dans un lieu pittoresque, pour un opéra de plein air. Remontant la rivière Enz qui traverse la ville de Bad Wildbad, on s’engage ensuite dans une pente pour rejoindre un lieu dénommé Luft- und Sonnenbad, situé au-dessus de la Villa Rosa – une bâtisse désaffectée de 1870, à l’allure de maison hantée, désormais. Les spectateurs sont disposés en largeur devant une construction de cabines juxtaposées, avec son couloir d’accès derrière une balustrade. On imagine qu’à une époque reculée, les vacanciers se changeaient dans ces réduits pour prendre ensuite leur bain de soleil, avec une douche, à gauche en regardant la scène, en cas de surchauffe. Le lieu est resté en l’état, agrémenté de quelques tags de part et d’autre. L’Orchestre Philharmonique de Cracovie (Orkiestra Symfoniczna Filharmonii im. Karola Szymanowskiego w Karkowie) est placé à droite, tandis qu’un petit podium à gauche est encombré de pots de peinture, pinceaux, escabeau, plastiques et cartons de protection... effet garanti, vu le contexte : l’impression d’un chantier est totale !

La mise en scène de Stefania Bonfadelli [lire notre chronique de Corradino, cuor di ferro] colle au plus près de la farce rossinienne créée par un compositeur de vingt ans (Teatro San Mosè de Venise, 1812). Dorvil et Germano, ouvriers en bleu de travail, s’activent à donner de vrais-faux coups de pinceaux, marteaux et tournevis, on pousse sur toute la longueur du balcon le vieux tuteur Dormont dans son fauteuil roulant qui, emporté par l’élan, vient s’arrêter bruyamment dans les douches. On joue aussi beaucoup avec les cabines, y compris lors de certains ensembles où chacun et chacune ouvre sa porte à tour de rôle pour intervenir. L’humour relève parfois de gags au premier degré, comme lorsque le riche Blansac pose son pied dans le pot de peinture, mais on passe globalement un fort bon moment devant le jeu très vivant et animé des six protagonistes.

Claudia Urru compose une ravissante Giulia, dans sa robe rose à pois. Le timbre est charmant sur toute la tessiture, l’instrument agile et musical. Les petites variations dans les reprises sont placées avec goût. Le volume de la chanteuse est nettement modéré, ce qui ne gêne en rien dans les conditions de cette soirée [lire notre chronique de Le nozze in villa]. L’autre soprano, Meagan Sill, nettement moins sollicité dans le rôle de Lucilla, développe davantage de puissance. Les récitatifs sont très correctement assurés, mais elle semble perdre ses moyens et la justesse dans son court air du second acte.

Côté masculin, les deux rôles les plus importants sont magnifiquement tenus. À commencer par le ténor Michele Angelini en Dorvil, celui qui a précédemment épousé secrètement Giulia et vient rejoindre sa belle chaque soir à l’aide d’une échelle de soie – ici quelques échelons qui permettent de grimper sur scène depuis la pelouse. Nous avions été impressionnés par le ténor nord-américain ici-même dans Corradino, cuor di ferro, et son chant fait mouche à nouveau. Dans le grand air de l’Acte I, Vedrò qual sommo incanto, la cavatine est conduite avec délicatesse, puis la cabalette déclenche l’enthousiasme par sa vitesse d’exécution, dans la droite ligne de Rockwell Blake ou de Juan Diego Flórez. Seul sujet de préoccupation, un minuscule passage à vide de temps à autre, en l’occurrence deux fois une note blanche comme détimbrée, peut-être signe de trac [lire notre chronique d’Il barbiere di Siviglia]. Le baryton Emmanuel Franco fait lui aussi une somptueuse impression dans le rôle particulièrement bouffe du serviteur de Dormont. Le personnage est drôle, utilisant une vis comica naturelle, et la voix agréablement et solidement timbrée [lire nos chroniques de Cenerentola, Salome, Romilda e Costanza et L’equivoco stravagante].

En dehors du personnage peu développé du tuteur Dormont, attribué au ténor Remy Burnens qui remplit sans problème son office, le maillon faible de l’équipe est la basse Eugenio Di Lieto distribué en Blansac ; il perd rapidement en stabilité et intonation dans son long passage en trois sections Alle voci dell’amore (I). Le chanteur [lire notre chronique d’Ariadne auf Naxos] parvient tout de même à se ressaisir en maintenant meilleure allure aux récitatifs et passages en sillabato, par la suite, mais sa participation aux ensembles a tendance à mettre en péril la justesse générale.

Placé au pupitre, José Miguel Pérez-Sierra est un chef typiquement rossinien qui sait maintenir un tempo alerte et vivant tout du long, sans cependant précipiter les musiciens vers la difficulté [lire nos chroniques de Lucrezia Borgia, Maruxa, Tosca et Carmen]. Il faut un petit temps à l’oreille pour s’habituer à l’acoustique complètement naturelle de l’endroit, sans caisse de résonance, mais on apprécie vite cette musique pleine d’énergie et d’esprit, bien à l’image d’une représentation qui recueille de généreux applaudissements.

IF