Chroniques

par bertrand bolognesi

la Septième de Mahler par Valery Gergiev
London Symphony Orchestra

Salle Pleyel, Paris
- 9 mars 2008
© marco borggreve

Après leurs déboires de la veille, à Dijon - heureusement conclus grâce à l’entraide et à l’esprit de solidarité de l’Orchestre national de Lyon, des conservatoires de Chalon-sur-Saône, des bassonistes de l’Opéra de Lyon et de quelques musiciens dijonnais, ainsi que des luthiers Eric Aouat et Thomas Billoux -, les instrumentistes du London Symphony Orchestra retrouvaient cet après-midi la Salle Pleyel où ils donnaient une Septième passionnante, menés qu’ils étaient par leur chef principal, Valery Gergiev. Devant le grand succès du concert de novembre dernier, in loco, le label de la formation britannique – qui publie ses enregistrements live - annonce d’ailleurs la sortie d’une intégrale Mahler par le chef russe, dont le premier volet – la Sixième – devrait paraître le mois prochain.

Nous voilà transportés aux étés 1904 et 1905, à Toblach, dans le Tyrol, où Gustav Mahler a conçu les cinq mouvements qui formeront sa Symphonie en mi mineur n°7. Il la créera lui-même à Prague à l’automne 1908, dans des conditions de travail plus luxueuses que d’habitude, sans pourtant que l’œuvre remportât d’autre succès que celui dit d’estime. Au mélomane qui connaît l’inégalité du maestro, les premiers pas du Langsam introductif indiquaient d’emblée la grande forme de l’interprète, faisant naître de profondeurs fiévreuses une lecture grondante et mafflue où les cuivres aériens s’échappaient du frémissement menaçant des cordes. Souplement articulé, ce premier tempo avançait avec une farouche détermination vers la lumière d’un Allegro risoluto, ma non troppo leste, mu par un muscle bandé en permanence qui dessinait miraculeusement les incises de cuivres. Mariant les qualités chambristes requises à une texture complexe, Gergiev enfle le mouvement comme une boule de feu s’autorégénérant qu’il conclut dans une fervente tonicité sans en livrer pour autant les secrets.

Après cet épisode inspiré, la première Nachtmusik semble naître sous nos yeux de ses bruissements innombrables qu’on jugerait improvisés. Ainsi Gergiev réinvente-t-il le passage, sans suraccentuer les contrastes, le plaçant plutôt dans le double mystère du délié du geste musical et de l’alliage des timbres. La marche centrale se radicalise alors en caprice vers un second thème presque froufroutant à la nuance subtilement maintenue dans son hésitation, favorisant d’autant plus le surgissement des traits solistiques. Fidèle au compositeur, cette interprétation fait la part belle à la couleur, notamment à celle des bois en fin de second mouvement.

Dans le même esprit, le Scherzo se fait insaisissable, entretenant génialement l’écoute dans la surprise, chaque intervention semblant s’y moquer de la précédente, voire des oreilles qu’elle manipule. Loin de s’installer, la plus franche plénitude des cordes en son centre n’est jamais qu’une accalmie de ce féroce cache-cache – Schattenhaft, nous dit l’auteur, et, de fait, on jurerait y percevoir le glissement d’ombres fantomatiques –, toujours servi au mieux par un dosage pertinent, tant des équilibres que des points d’arrêts qui précèdent l’accord final.

À une seconde Nachtmusik très délicatement ciselée – dont chaque détail s’accomplit comme naturellement, dans un charme allant de soi, sans éclat ni rutilance, jusqu’à l’extinction presque liquide –, l’ultime Rondo superpose électriquement ses traits grâce à une gestion savante des entrelacs et du crescendo, par delà un équilibre pupitral remarquable. L’élan puissant de la fébrilité de la battue emporte l’adhésion enthousiaste du public parisien pour cette Septième vertigineusement survoltée.

BB