Chroniques

par katy oberlé

La sonnambula | La somnambule
opéra de Vincenzo Bellini

Fondazione Teatro La Fenice, Venise
- 2 juillet 2017
La Fenice de Venise reprend avec succès sa production de La sonnambula
© michele crosera

La promenade continue ! Le beau temps est avec moi, pour reprendre la route, samedi matin. Plutôt que de foncer sur les autostrade comme la veille, j’ai tout mon temps, puisque l’opéra m’attend dimanche. Après un Macbet de braises au Teatro Regio de Turin [lire notre chronique du 30 juin 2017], j’emprunte la ligne à crémaillère de Sassi pour grimper la colline de Superga où visiter la très belle basilique de Juvarra – un enchantement, avec la vue imprenable sur la capitale des princes de Savoie et la montagne en surplomb ! Volant bien en main, je sillonne ensuite les vallons et la campagne jusqu’à la belle cité d’Asti où m’attend une merveille de déjeuner (au tout petit Cavolo a Merenda, mais très grand quant à la qualité de sa cuisine !). Après quoi, j’avance vite vers le nord-est pour m’installer à Crémone vers 15h – encore une ville magnifique, mais est-ce qu’il en existe de laides en Italie ?... Je ne vais pas tout vous raconter (surtout que la rédaction me couperait, alors !), mais la balade est exquise, vraiment. Dimanche matin, c’est presque rien de rouler jusqu’à Venise pour voir La sonnambula.

Créé à Milan le 6 mars 1831, le huitième opéra de Vincenzo Bellini, semiseria, fut écrit à toute allure, en à peine sept semaines. Il n’empêche, le compositeur sicilien a fait preuve d’une maîtrise extraordinaire de son art, qui n’a pas échappée au public et à la presse de son temps : La sonnambula connut tout de suite le succès. Très prisée dans l’immédiat après-guerre et jusqu’au milieu des années quatre-vingt, l’œuvre fut curieusement boudée depuis. Régulièrement à l’affiche dans les théâtres de la botte, on ne lui rend guère d’honneur ailleurs. Pourtant, notre collègue ne se trompe pas en la qualifiant de « l'un des plus purs chefs-d’œuvre » du bel canto [lire notre critique du DVD], quoiqu’en aie pu écrire une pisse-vinaigre, à l’occasion de la présentation à Paris d’une production venue de Vienne [lire notre chronique du 25 janvier 2010] !

Donnée une première fois au printemps 2012, la présente production de La Fenice, signée Bepi Morassi, est un régal d’esprit, de légèreté, de sensibilité. L’argument est transposé entre les deux guerres mondiales, dans une station de ski tout ce qu’il y a de plus chic et cher, avec un drapeau suisse qui se gondole dans le vent des montagnes. Le décor de Massimo Checchetto est un ravissement, avec ce clin d’œil au nec plus ultra aujourd’hui naturel sinon tout à fait désuet, à savoir un téléphérique pour monter sur les pistes. Pittoresque, la scénographie, qui convoque plus tard un charmant autocar, met de bonne humeur. L’hôtel jet set de l’Acte II ne le cède en rien au paysage enneigé du précédent. C’est dans sa salle de bal que la scène de somnambulisme aura lieu, le pas endormi d’Amina se risquant du mauvais côté de la baie vitrée, jusqu’à donner vraiment le vertige.

L’année dernière, le même confrère amoureux de musique romantique italienne signalait l’importance essentielle de réunir des chanteurs aguerris au style [lire notre chronique du 11 avril 2016]. Sur la Lagune, tout va pour le mieux, avec le robuste Alessio du jeune William Corrò, baryton-basse plus que prometteur qu’il faudra suivre de près, la Teresa attachante de Julie Mellor, mezzo-soprano gracieux, et la très agile Silvia Frigato en Lisa bien aiguisée. Les trois rôles principaux sont bien distribués. Le ténor de Shalva Mukeria est fort joliment ciselé, avec un impact spinto idéal dans la partie d’Elvino [lire notre chronique du 26 avril 2009]. À l’automne passé, j’applaudissais de bon cœur le Trofonio (Giovanni Paisiello) de Roberto Scandiuzzi à Naples [lire notre chronique du 20 novembre 2016] : il campe un Rodolfo d’anthologie, tant pour le chant que pour le théâtre qu’il a dans le sang. La voix, déjà très longue et luxueusement timbrée, s’est encore enrichie, ces derniers mois – quel bonheur ! Enfin, l’habileté d’Irina Doubrovskaïa offre à la dormeuse Amina une vocalité sublime d’élégance et de facilité. De ses trilles invraisemblables, on rêverait toute la nuit !

Un seul angle ombreux sur cette affaire : si les artistes du Chœur maison, préparés par Claudio Marino Moretti, servent honorablement la représentation, Fabrizio Maria Carminati, à la tête de l’Orchestra del Teatro La Fenice qui affirme les bonnes couleurs pour ce répertoire, ne paraît pas franchement décidé quant à ce qu’il convient d’en faire, avec des tempi parfois bousculés ou, au contraire, évanouis – contagieux, le somnambulisme, peut-être ?... C’est surprenant, car ces atermoiements ne sont pas dans les habitudes de cette baguette reconnue pour des interprétations vigoureuses [lire nos chroniques du 29 mars 2017, du 13 mars 2015 et du 1er octobre 2014]. Sans doute les coupes sombres effectuées dans l’original bellinien explique-t-il le sentiment de fragmentation, plus que la démarche du chef. Mais il en faudrait plus pour gâcher le plaisir !

KO