Chroniques

par françois cavaillès

La sonnambula | La somnambule
opéra de Vincenzo Bellini

Opéra de Reims
- 15 mai 2022
La sonnambula, opéra de Vincenzo Bellini à l'Opéra de Reims
© dr

Parmi les opéras de Vincenzo Bellini (1801-1835), La sonnambula fut éclipsé par le succès de Norma, son successeur immédiat à la fin de la même année 1831. D’aucuns, cruciverbistes anglophones, considèrent même le second comme l’aboutissement ou la conclusion naturelle, via ce jeu de mots déductif : « What’s usual end of Sonnambula– opera by Bellini (5-letter word)... NORMA »*. Pourtant, parmi les innombrables œuvres du grand siècle de l’art lyrique populaire cet opera semiseria se distingue comme l’un des rares où l’héroïne triomphe. Quelques monstres sacrés du dramma (dont la Callas, principalement à la Scala, entre 1955 et 1957) ont soutenu avec aplomb cet opus pastoral d’apparence simple, assez souvent cité pour sa force d’expression vitale féminine – au cinéma, par exemple, chez Sheila McLaughlin, voire Luchino Visconti dès 1948 ou la regrettée Ronit Elkabetz.

À l’Opéra de Reims, ce sont justement deux femmes, la chorégraphe et metteure en scène Francesca Lattuada et la cheffe Beatrice Venezi, qui assurent le spectaculaire passage de la nouvelle Somnambule, fruit d’une coproduction entre huit maisons françaises et forte d’un plateau composé, pour la plupart, des jeunes lauréats du dernier Concours international de chant de Clermont-Ferrand. Aussitôt la fosse rémoise bouillonne. Placé avec bonheur sous cette baguette dantesque, aussi alerte qu’attentive au chant, l’Orchestre de l’Opéra de Reims brille comme un bijou, tout l’après-midi durant. Un grand bravo, sur toute la ligne !

Davantage encore, la rutilante représentation scénique bouscule le vieux charme opératique italien en tournant le dos au théâtre pour privilégier quelques rafraîchissantes acrobaties verticales, très réussies, avec pour bémols le trop fréquent défilé de protagonistes à l’avant-scène, face au public comme en récital, et la fâcheuse disposition en rang d’oignons du chœur. Mais l’Ensemble Lyrique Champagne Ardenne (ELCA), dont les artistes sont vêtus de longues toges noires à la fantaisie gothique, tournoyant un moment tels des oiseaux de mauvais augure, tient le rôle principal en toute beauté, par la franche union et la juste animation des voix. Les coiffes et, surtout, les costumes de Bruno Fatalot regorgent de créativité, d’audace et de goût, éléments forts d’une réalisation peut-être visionnaire et apparemment suivie par le public du jour. L’absence générale de repères spatio-temporels et de jeu classique suivant l’argument originel, mais plutôt une ponctuation de poses chorégraphiques particulières, peut désorienter ou ravir, notamment grâce aux lumières brumeuses de Christian Dubet lors du rêve magique – loin, très loin donc, de l’ouvrage tel que conçu par le librettiste Felice Romani (d’après une trame de Scribe), mais encore dans l’ambition d’un conte aussi grand que les arbres élevés à l’orée du second acte.

D’un soprano étoffé, Francesca Pia Vitale (Lisa) donne, dès la dense cavatine Tutto è gioia, le ton de la performance vocale générale, à la fois chaste et sensuelle, par un joli feu oscillant entre flammes et braises. Son premier prétendant, Alessio, bénéficie du capiteux baryton-basse de Clarke Ruth, également fin comédien, et le second, Rodolfo, de la basse profonde et plaisamment grésillante (pour la cavatine d’entrée) d’Aliaksey Birkus. Le rôle paraît toutefois grevé par une impossible tenue méphistophélique à l’assemblage ridicule, de même que le mezzo Isabel De Paoli, doté d’une émission agréable de rondeur comme de limpidité, n’est sensible qu’à travers le curieux habit de mariée alsacienne – ou bretonne, question de couvre-chef… – constamment porté par Teresa.

Reste un formidable couple central.
Ovationné, le somptueux soprano de Julia Muzychenko fascine dès le premier chant d’amour, par un timbre et un rubato délicieux. Le rôle d’Amina est bel et bien conquis. Infaillible en Elvino, le ténor Marco Ciaponi se montre doux et expressif, grâce à une ligne claire, avec le talent d’afficher front macho et voix de miel. Leurs duos s’avèrent éminemment lyriques, bouleversants et puissants, au paradis du bel canto refermé par la joyeuse cabalette finale. Signataire d’étincelantes vocalises, fidèle aux ornements écrits par Bellini, Julia Muzychenko s’y révèle gai comme un pinson en juin. Que revienne toujours plus enflammée la somnambule, pour brûler les faux et les tièdes et laisser au sol un tapis de cendres.

FC

* « Fin habituelle de La sonnambula, opéra de Bellini (en 5 lettres) : NORMA »
– extrait d’une grille parue dans le quotidien The Times, le 26 mai 2007