Chroniques

par bertrand bolognesi

La Stellidaura vendicante | Stellidaura vengeresse
opéra de Francesco Provenzale

Innsbrucker Festwochen der alten Musik / Tiroler Landestheater, Innsbruck
- 12 août 2012
découverte d'un opéra de Provenzale à Innsbruck : La Stellidaura vendicante
© rupert larl | innsbrucker festwochen

Après la délicieuse farsetta de Scarlatti [lire notre chronique de la veille], nous découvrons cet après-midi l’opéra qui ouvrait mercredi soir cette nouvelle édition du Festival de musique ancienne d’Innsbruck (Innsbrucker Festwochen der alten Musik). Il n’est guère fréquent de pouvoir entendre la musique de Francesco Provenzale. Acteur très en vue de la scène musicale napolitaine dans les quatre dernières décennies du XVIIe siècle, avec la création des opéras Il Ciro en 1654, Artemisia (1656) et Teseo (1658) comme à travers les postes qu’il occupa en tant que maestro de plusieurs capelle prestigieuses, de 1663 à 1699, Provenzale (1624-1704) fait, depuis une douzaine d’années, l’objet d’une redécouverte d’importance sous l’impulsion d’Antonio Florio à la tête de sa Capella de’Turchini (du nom même du Conservatoire de la Pitié que le compositeur dirigea de 1661 à 1702), à travers de nombreux concerts et enregistrements – tels Il canto della sirena (chez Glossa), Missa Defunctorum (Eloquentia), Cantates napolitaines (idem),Vêpres, Motets et Passions (plusieurs volumes chez Opus 111|Naïve) [lire notre critique CD], l’oratorio La colomba ferita (idem), etc.

Alessandro De Marchi et les excellents musiciens de son Academia Montis Regalis ressuscitent ici (après le Festival de Vadstena dès 1974 puis en 1999) La Stellidaura vendicante (1674), un drame de l’amour mâtiné de scènes bouffes comme les affectionnait le « premier baroque » encore héritier (quoique d’assez loin déjà) de Monteverdi via le Lombard Cavalli. On y retrouve en partie la manière de L’Egisto de Mazzocchi et Marazzoli, par exemple [lire notre chronique du 29 septembre 2011], le livret du talentueux Palermitan Andrea Perrucci s’articulant dans l’alternance de la langue italienne (chantée par les personnages appartenant à la noblesse qui assument les fonctions tragiques de l’ouvrage) à un salmigondis dialectal qui emprunte au calabrais (attribué au contrepoint comique qu’incarnent les valets), témoignage d’une modalité savante qui fait adroitement usage d’une veine qu’on dirait aujourd’hui « populaire ».

Plus précisément, le Frioulan réitère une expérience plus ancienne, puisqu’en février 1997 il abordait déjà cette Stellidaura en Belgique. Si son complice pour la scène était alors Philippe Sireuil, un artiste au génie « opératique » ô combien soigneux du théâtre [lire notre chronique du 23 juin 2006], c’est aujourd’hui à François De Carpentries qu’on a confié la réalisation. Malencontreusement, celle-ci déçoit en tout point. Le plateau est encombré, si bien que certains moments demandent aux chanteurs de redoubler d’attention afin de ne s’y dangereusement embrouiller le pas (pour ne point dire la robe), le recours à deux « elfettes » en guise de machinistes ne fait qu’appesantir l’action, la profusion d’étoiles, pour esthétique qu’elle soit, finit par étouffer le regard, et la caractérisation des protagonistes caricature violemment ses appuis, par-delà une verve que le maître d’œuvre jamais ne parvient à rendre drôle. Et c’est le plus sensible : ce qui est censé faire rire laisse invariablement de marbre – croyez bien qu’il ne s’agit pas d’une indisposition personnelle : assurément le public s’ennuie, et s’il ne baille pas copieusement c’est uniquement parce qu’on est mieux élevé au Tyrol qu’en Gaule... Bref, les bouffons ont l’humour rouillé et les tragiques ont l’air de souffrir pour passer le temps.

Aussi est-ce au plateau vocal que plus sûrement l’on confiera son plaisir.
La basse solide d’Enzo Capuano campe un Giampetro vocalement probant. De même le page Armillo bénéficie-t-il du chant ferme et du timbre coloré d’Hagen Matzeit dont la présence scénique d’emblée saute aux yeux. Si la première intervention de Carlo Allemano ne convainc pas immédiatement (la diction semble peiner dans une respiration difficile et les phrases descendantes sont légèrement instables), il avance en se bonifiant efficacement au fil de la représentation. L’impact se précise durant le premier acte, la musicalité s’impose à la fin du II, enfin l’art se révèle au III, avec un Tra pianti e sospiri d’une irrésistible tendresse. Avec un timbre avantageusement clair, Adrian Strooper offre une pâte idéalement amoureuse au rival Armidoro. Après des premiers pas à peine hasardeux, le ténor australien pose bientôt sa voix, livrant ensuite des mezza-voce subtilement négociés (aria en lamento du II). Enfin, le rôle-titre est fort bien tenu par Jennifer Rivera d’un mezzo précis, parfaitement impacté, que relève une composition attachante – on goûte particulièrement la richesse du timbre dans l’air de la lettre (deuxième acte).

BB