Recherche
Chroniques
La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi
Rien n’est comme ailleurs, décidément, au Longborough Festival Opera ! L’an dernier, nous découvrions ici un Fidelio inventif qui n’avait pas fait l’unanimité, mis en scène avec audace par Orpha Phelan [lire notre chronique du 2 juillet 2017]. Cette fois, c’est un autre classique qui nous y attend, La traviata. Dans l’approche radicale de Daisy Evans, le drame est propulsé au cinéma, invitant tour à tour Marilyn Monroe chez Ernst Lubitsch et Maria Callas chez John Cassavetes.
Plutôt que courtisane parisienne du XIXe siècle, Violetta Valéry est une star des années cinquante, à Hollywood – il est donc toujours question de sexe, mais magnifié par le septième art et ses esthétiques érotisées. Selon la technique du théâtre dans le théâtre, nous assistons à un tournage ; la séquence à réaliser pour une fiction sur Marie-Antoinette tient ici lieu de fête. Le Baron Douphol apparaît comme un cinéaste tyrannique, tandis que le fils Germont est un fan’ qui s’est fait machiniste pour approcher l’actrice. La fragilité de l’héroïne trouve à s’oublier dans la passion amoureuse pour cet Alfredo un peu niais qui profite malgré tout d’être sur un plateau pour essayer de se faire remarquer en tant qu’acteur potentiel. Après que le père l’ait convaincue de renoncer à cette aventure vitale, l’omniprésence de Grenvil, son médecin, et d’Annina, sa fidèle seconde, ne parvient plus à calmer sa peur ni son dégoût de tout lorsque le jeune homme l’humilie. L’alcool et les drogue auxquels elle touchait avant cela deviennent ses meilleurs alliés, sur une pente dévastatrice qui ne s’appelle plus tuberculose mais dépression. Il survient trop tard, le repentir d’Alfredo : l’overdose est consommée, c’est presque fini. Ce nouveau scénario s’empare intelligemment de l’œuvre de Verdi qu’il ne dénature pas : les relations entre les personnages restent tout à fait cohérentes, dans une observation humble du processus induit par la transposition. Le résultat est bouleversant. Sous la lumière sophistiquée de Jake Wiltshire, les décors et les costumes de Loren Elstein rendent réaliste chaque situation. Mais c’est bien Daisy Evans qui mène le jeu, avec un sens extraordinaire de la tension et du rythme. Les derniers instants de Violetta [photo] se gravent douloureusement, renouvelant le pouvoir émotionnel de l’original.
D’un soprano dramatique souverainement mené, Anna Patalong incarne avec un talent fou cette actrice désespérée. On ne peut être indifférent à son désarroi comme à ses élans cyclothymiques, à sa passion comme à l’effondrement dont elle ne se relève plus. Le legato est généreux, ce qui offre au rôle une souplesse vocale à la hauteur d’une destinée de star du cinéma, en effet – on se dit que cette femme est capable de tout. Peter Gijsbertsen s’accorde très bien avec elle, grâce à un timbre spinto qu’il sait utiliser avec tendresse et colère, en bonne adéquation avec le psychodrame qui se déroule sous nos yeux. La solide voix de Mark Stone se met au service d’un Germont bien phrasé. Impressionné d’approcher une étoile de l’écran, son personnage est touchant dans son autorité maladroite. Autour d’eux, on apprécie encore le chant séduisant de Jenny Stafford (Annina) et l’arrogance claironnante d’Eddie Wade (Douphol).
L’utilisation théâtrale particulière du chœur génère quelques soucis de cohésion générale. On a également du mal à percevoir ce que Thomas Blunt, en fosse, a souhaité proposer. Sa lecture accuse des baisses de régime inexplicables, voire un curieux morcellement de la pensée musicale.
HK