Chroniques

par gilles charlassier

La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra de Limoges
- 6 février 2022
Chloé Lechat met en scène LA TRAVIATA de Verdi à l'Opéra de Limoges
© steve barek

La traviata fait partie du podium des titres les plus joués du répertoire – avec un classement qui varie au gré des années, sans remettre en cause la constance du succès auprès du public, comme des metteurs en scène, qui entendent proposer leur lecture de l’opéra de Verdi, inspiré par le roman d’Alexandre Dumas fils. Dix ans après une production réglée par Jean-Romain Vesperini, plongée dans une influence Art Déco, qui avait vu les débuts de Venera Gimadieva en France, l’Opéra de Limoges propose une nouvelle production, aux intentions explicitement féministes, confiée à Chloé Lechat. Cette dernière entend restituer, pour le spectateur d’aujourd’hui, la troublante proximité avec le drame que le public avait ressenti à la première et qui avait aiguisé la critique d’une société à laquelle on renvoyait son hypocrisie.

Pour les décors de villa à la blancheur touristico-clinique modulée par les lumières de Dominique Bruguière, dessinés par Emmanuelle Favre, c’est à Ibiza que se trouve le miroir de notre époque et d’une jet-set qui ne refuse pas les déguisements, à en juger par la variété pastiche des costumes festifs conçus par Arianna Fantin. L’essentiel du propos réside dans l’ajout de deux personnages, Virginia, la sœur d’Alfredo, mentionnée par Germont père dans son entrevue avec Mademoiselle Valéry, et la mère, Jacqueline, absente du livret, pour expliciter les ressorts matrimoniaux qui ont scellé le destin de Violetta. Si la matrone ne fait qu’apparaître en chaise roulante – son époux serait encore bien portant, lui –, la fille vient en tenue nuptiale, dans des monologues au début de chacun des actes, livrer ses interrogations sur son devenir de femme dans le cadre paternaliste et marital. Pour autant, fonctionnant comme un calque interprétatif ajouté dans le déroulé du spectacle, les meilleures intentions dramaturgiques restent dissertatives si elles ne s’incarnent pas au cœur d’une émotion scénographique.

Dans le rôle-titre, Amina Edris ne manque pas d’engagement et ne cède pas aux facilités des suraigus pour exsuder la fébrilité émotionnelle de l’avatar verdien de La dame aux camélias [lire notre chronique des Indes galantes]. En Alfredo, Nico Darmanin impose une présence complémentaire, équilibrant fougue et sentiment. Remplaçant Francesco Landolfi annoncé souffrant, Sergio Vitale privilégie l’autorité du père Germont, sans renoncer cependant aux nuances de l’incarnation [lire notre chronique de La forza del destino]. En Flora, Yete Queiroz fait valoir une belle homogénéité qui ne cède pas à la placidité [lire nos chroniques de Goyescas, Cavalleria rusticana et Médée], tandis que Séraphine Cotrez résume la bienveillance discrète d’Annina. Le Gastone de Matthieu Justine ne se montre pas avare d’élan [lire notre chronique de La traviata], face au Douphol un rien roide de Francesco Salvadori [lire notre chronique d’Iphigénie en Tauride]. Frédéric Goncalves s’acquitte sans démérite des répliques du marquis d’Orbigny [lire nos chroniques de Dialogues des carmélites, Le marchand de Venise et Turandot], quand Guy Bonfiglio endosse avec pertinence l’attention consolatrice de Grenvil [lire notre chronique de Don Carlo]. Préparés par Edward Ananian-Cooper, les artistes du Chœur de l’Opéra de Limoges participent à la caractérisation dramatique.

Dans une fosse – aux effectifs élagué en raison de la tenace rémanence des mesures sanitaires – le directeur musical de l’Opéra de Limoges, Robert Tuohy [lire nos chroniques du 11 mars 2012 et du 1er décembre 2016] accompagne avec intelligence l’intensité expressive de la partition, par-delà les équilibres parfois problématiques d’une formation plus réduite que ce qu’exige l’ouvrage – en particulier dans le frémissement de la chair des cordes, moins palpable. On lui saura gré de restituer le commentaire, trop souvent escamoté, des protagonistes lors de la chute de Violetta dans le trépas, où se condense le fatal conflit entre la liberté affective de l’héroïne et la société qui l’entoure et ne cesse de la mépriser que défunte.

GC