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Chroniques
La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi
Une Traviata à Madrid ?
Depuis quelques temps, le Teatro Real crée l’événement. Après la fort rare Cléopâtre de Massenet, avec la famille Caballé, et un exceptionnel Barbiere di Siviglia, c’est La traviata de 2004, alors unanimement saluée par la critique madrilène, qui est reprise, en vue d’un DVD dont la publication est prévue pour la rentrée.
Dans le rôle-titre, Norah Amsellem y est proprement exceptionnelle. Esthétiquement superbe, la production de Pier Luigi Pizzi lui offre un écrin digne de sa beauté, aussi bien physique que vocale. Qui, aujourd’hui, peut soutenir la comparaison avec notre diva française en Violetta ? Sûrement pas Renée Fleming, dont le pâle témoignage au Met’ se laissera vite oublier, ni l’omniprésente quoique ordinaire Patrizia Ciofi à La Fenice, encore moins Mireille Delunsch qui nous fit découvrir une actrice extraordinaire de sensibilité, double troublant de Marylin, mais en but aux arcanes de la meurtrière partition de Verdi. Depuis deux ans, Norah Amsellem rôde le rôle sur les plus grandes scènes. Après ses succès berlinois et madrilènes, ses toutes dernières représentations à Covent-Garden en janvier 2005 lui valurent les éloges superlatifs de la critique londonienne. Aujourd’hui, Violetta lui colle à la peau.
La santé vocale du soprano est proprement insolente. Elle n’a aucun problème à assumer les trois tessitures du rôle : colorature au premier acte, lyrique au second et lirico spinto au dernier. Évidemment, sa grande voix puissante s’accommode aisément des difficultés du premier acte. Elle nous gratifie même de l’air complet E strano, avec la reprise A me fanciulla, et du mi bémol final, tant attendu par le public (même s’il n’est pas de la main de Verdi) qu’elle assure avec une vaillance toute « pavarottienne », à la différence de ses collègues qui péniblement s’arrêtent au si bémol. Qui se plaindra de cette note royale, superbe, tenue à l’envi ? En véritable interprète de la partition, elle sait en respecter toutes les nuances et les finesses. Les pianissimi du Dite alla giovine (confrontation avec Germont) sont exemplaires de pureté, de sensibilité et d’intelligibilité. Enfin une Violetta humaine, belle et crédible, qui chante aussi pleinement qu’elle vit !
Surtout quand Germont a les traits de Renato Bruson…
Le grand baryton septuagénaire, incroyable de noblesse et d’intelligence, demeure une référence indispensable dans ce rôle ingrat. Malgré un vibrato bien naturel à son âge, il est plus à son aise que nombre de ses collègues. Son Germont n’est pas une brute implacable, mais un caractère loyal et sensible auquel, bizarrement, Pizzi fait la tête du vieux Verdi. Son grand air Di Provenza, exécuté avec la cabalette complète, est un moment d’anthologie, salué à juste titre par de longs applaudissements.
Quant à José Bros, il est un Alfredo belcantiste à la voix de velours, d’un goût et d’une technique irréprochables. Tout au plus regrettera-t-on son allure un peu pataude, un jeu de scène à travailler, par rapport à l’engagement de ses camarades. Les seconds rôles sont tenus de façon exemplaire et – originalité du Teatro Real – participent à un concours, leur permettant de débuter dans un grand rôle la saison suivante.
Pizzi a situé cette Traviata pendant l’occupation (encore !), à Paris – ce qui nous vaut les inévitables officiers nazis du premier acte, dans un parti pris qui n’est pas exploité ultérieurement. Il n’en demeure pas moins une somptueuse mise en espace avec le must Art-déco des années trente et quarante en architecture, mobilier et tenues vestimentaires. Pizzi pare Violetta de copies de robes de l’époque et en fait une vamp irrésistible de charme et de classe. Le premier acte présente une scène découpée en deux, montrant à gauche la chambre de la belle, à droite les salons. Quand l’héroïne est prise d’un malaise, elle va naturellement s’allonger sur un lit où Alfredo la retrouve et où prend une sensualité inédite le duo Un di, felice. Le premier tableau du deuxième acte est curieusement situé dans un loft très design où dominent le métal et le bleu dur, toujours avec des mobiliers emblématiques des années quarante. Le second tableau cède à un « extrême-orientalisme » chargé, en vogue à cette époque. Pour finir, le troisième acte est un modèle de dépouillement : la scène n’est éclairée que par la lumière de la salle de bain du premier et par un balcon qui permet à Violetta de prendre un peu d’air pour leParigi o cara et la scène finale.
L’orfèvre de ce spectacle reste le chef castillan Jesús López Cobos qui, tout en exigeant l’intégralité de la partition avec reprises et cabalettes, accompagne les chanteurs tant avec soin qu’avec respect. Sans en sacrifier l’émotion et la tendresse, il gomme tous les aspects mélodramatiques d’une partition qui peut prêter à la facilité.
MS